Homélie – dimanche 16 avril 2023 (2e dim de Pâques – dim de la Miséricorde) Jn 20, 19-31

En ce premier jour de la semaine, juste après la mort de Jésus, les disciples demeurent barricadés chez eux, reclus dans la peur, ne sachant pas comment se comporter dans ce monde où celui qu’ils suivaient n’est plus. Les disciples ont peur de ce monde, ont peur de ceux qui cherchent à les faire taire. Ils ont peur de l’avenir. Leurs portes sont donc fermées. Et là, dans leur enfermement, dans ce lieu où personne ne peut les rejoindre, Jésus-Christ leur apparaît. 

A première vue, cet épisode peut nous faire penser à un roman fantastique, comme dans Le passe-muraille de Marcel Aymé où un homme a la capacité de traverser les murs. Mais Jésus-Christ n’est pas un passe-muraille et Jean ne nous dit pas qu’il a traversé les murs : il nous dit simplement qu’il s’est rendu présent au milieu d’eux d’une manière inhabituelle. Et il y a une raison à cette présence de Jésus parmi ses disciples, et cette raison, c’est une parole. Une parole qui va venir déverrouiller ces portes closes en même temps que leur cœur. C’est une parole qui va les chercher jusqu’au fond de leur peur pour les en extirper : « La paix soit avec vous ! » Et ce n’est en rien une salutation banale puisqu’il la répète une deuxième fois : « La paix soit avec vous ! » C’est une parole libératrice et créatrice. C’est une parole de Jésus, c’est la Parole de Dieu.

Puis il envoie ses disciples en mission, il fait souffler sur eux l’Esprit saint et il leur donne de pouvoir remettre les péchés, c’est-à-dire d’annoncer eux-mêmes aux autres cette paix de Dieu. Pour les disciples, les portent s’entrouvrent alors et un avenir peut s’envisager. Et si nous y prêtons attention, si nous écoutons bien, cette parole se fait encore entendre aujourd’hui malgré tout le bruit et la peur qui s’agitent autour de nous. Ce murmure d’espérance, cette rumeur de Pâques se fait entendre à chaque fois que nous lui réservons bon accueil dans notre coeur, à chaque fois que nous reconnaissons un frère sur le visage que nous croisons. 

Oui mais… Oui mais Thomas est absent ce jour-là. Où est-il et que fait-il à ce moment-là ? On ne le sait pas. Mais en tous cas il n’est pas là. Gardant ses distances avec la communauté, il est peut-être assailli par le doute et se pose d’innombrables questions : « Avons-nous encore un avenir ? Quel choix faire désormais ? Qui suivre ? » Thomas doute et il ne fera pas confiance à ses compagnons qui tentent de lui partager leur joie. Thomas doit se sentir différent, à part, peut-être même exclu du groupe. Et comme il doit regretter de ne pas avoir été là ! Il voudrait bien, lui aussi, rencontrer Jésus. Il veut des preuves et ne croira donc pas sans toucher ses plaies. Cet attachement aux marques de la passion pourrait nous laisser entendre que Thomas n’a pas encore oser croire que Jésus est vraiment ressuscité. Il n’a pas oser faire sienne cette Bonne Nouvelle et regarde encore en arrière, vers le bois de la croix. En fait, face à cette nouveauté et au changement qui font irruption dans sa vie, Thomas n’a peut-être pas tant besoin de preuves, que de renouveler sa foi. 

Or Thomas, appelé Didyme, « le jumeau », c’est un peu nous. C’est un peu de notre humanité dont il est question ici avec lui. C’est un peu nous qui doutons parfois et devons nous risquer à renouveler notre foi, à faire confiance à l’inattendu de Dieu. Heureusement, nous pouvons compter sur sa fidélité éternelle à notre égard, surtout lorsque nous avons l’oreille dure et le coeur lent à croire. Comme pour Thomas, le Seigneur n’hésite pas à revenir vers nous pour nous provoquer et nous bousculer, pour ranimer en nous l’espérance, pour nous rappeler qu’il nous envoie comme lui-même a été envoyé. Nous pourrions même dire qu’il nous « re-suscite » sans jamais se lasser. Cette manière que le Seigneur a de nous relever encore et encore de notre incrédulité, c’est cela la miséricorde divine, celle que nous fêtons aujourd’hui : un amour qui ne finit pas de nous appeler à le partager. « Car tel est l’amour de Dieu » nous dit saint Jean. 

Et alors, pour la troisième fois, Jésus-Christ répète cette salutation : « La paix soit avec vous ! » Dès que Thomas entend cette parole, il n’a plus besoin de preuves, sa foi est renouvelée et c’est sur la base de cette parole qu’il peut confesser Jésus-Christ comme son Seigneur et son Dieu. Thomas voulait approcher sa main pour toucher Jésus crucifié, il va se laisser finalement tout entier renouveler par Jésus ressuscité. Celui qui voulait toucher, se laisse lui-même intimement toucher et confesse : « Mon Seigneur et mon Dieu. » 

Nous, nous sommes dans la même situation que Thomas : nous n’avons pas vu le Ressuscité. Personne parmi nous n’a vu le Ressuscité. Nous n’avons pas vu les marques de la croix pourtant nous sommes appelés à croire que Dieu aime notre monde et lui renouvelle sans cesse son amour. Nous sommes appelés à croire que, comme le Christ a pu rejoindre les disciples dans leur maison verrouillée à double-tour, il peut nous rejoindre dans tous nos peurs et nos angoisses. Nous croyons que la joie et l’espérance des disciples, c’est-à-dire notre joie et notre espérance, sont appelées à se communiquer au monde.  

Cet épisode d’apparition de Jésus-Christ aux disciples, et celui qui le suit, ne sont pas la fin de l’évangile de Jean. La Bonne Nouvelle se poursuit au-delà du livre. Elle se poursuit avec nous, témoins du Ressuscité aujourd’hui dans notre monde. « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » 

 Guillaume Roudier

Homélie du Jeudi 6 avril 2023, Célébration de la Cène (Jn 13, 1-15)

Étonnamment, au cours de ce repas dont nous célébrons le mémorial, Jésus ne parle pas de « mort », mais de « passage ». Passage du « monde » vers « le Père ». Evidemment, nous connaissons la suite du récit mais ce qui est à entendre dans ces quelques lignes ne se situe pas dans les prémices de la croix, mais déjà au-delà : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jn). En grec, ces mots ne désignent pas une fin, plutôt une direction, voire un commencement, un nouveau commencement.
Et si on pense à ces multiples repas partagés à travers les Evangiles, nous pourrions y trouver autant de commencements, de mises en route, quelque chose qui a rapport au même envoi : Cana et le vin qui coule en abondance, la multiplication des pains sur la montagne, les repas avec les nombreux pharisiens autant qu’avec la multitude des pécheurs, avec les disciples de Jean Baptiste, la soirée passée avec Marthe et Marie… et j’en oublie. Que de temps passé à partager des moments simples avec ses amis, mais aussi avec ceux qui ne le comprennent pas. A chaque fois, ce sont des gestes bien ordinaires qui conduisent vers un témoignage d’amour.
Et maintenant ce dernier repas et avec lui ce geste si beau. Ce n’est pas seulement un geste rituel de purification préparant au repas. Le lavement des pieds est essentiellement un geste testamentaire, c’est-à-dire un geste de fondation. C’est un vrai geste, un geste de vérité. C’est peut-être ce que Pierre n’avait pas compris au début. Ce geste a un réel effet puisqu’il institue les apôtres – c’est-à-dire nous aussi – en « disciples-missionnaires » comme dirait le pape François. Le lavement des pieds est un geste qui ouvre, il nous ouvre aux autres et il ouvre la table à la multitude.
Oui, ce geste nous convoque, à notre tour, à nous mettre à hauteur d’homme, à la hauteur de la vie des hommes et des femmes de notre temps dont le genou a fléchi à cause des épreuves de la vie, de la souffrance, de la haine ou du désespoir : « afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Servir et prendre soin, humblement et dans ce même amour dont le Fils nous aime.
C’est désormais le temps de l’amour, celui de l’action de grâce, celui de l’eucharistie.
Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 12 mars 2023, 3e dimanche de Carême (Jn 4)

Nous ne sommes pas encore à la moitié de notre chemin de Carême, mais nous pouvons néanmoins saisir l’occasion de ce troisième dimanche afin de nous désaltérer à la source. Et c’est cette rencontre bien connue de Jésus avec une femme de Samarie qui va nous y aider. 

La Samarie se trouve entre la Judée au Sud et la Galilée au Nord (c’est la région actuelle de Naplouse). En situant cette rencontre auprès du puits de Jacob, nous pouvons nous souvenir d’un autre récit, celui de Joseph et de ses frères qui avaient tenté de le tuer. Mais à cet acte de violence fratricide avait succédé un geste de don et même de pardon puisque Joseph, devenu haut dignitaire égyptien, avait fini par sauver sa famille de la mort. Comme si, déjà du temps de la Première Alliance, notre humanité était capable de créer du bon au-delà de nos erreurs, comme si la vie devait l’emporter sur la mort. 

Dans cet épisode de l’évangile, là encore, tout aurait dû tourner à l’échec et faire échouer cette rencontre : lui, Jésus, est juif, elle est samaritaine. Or les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains. Si les deux peuples partagent la même origine ethnique, ils se méprisent mutuellement, tout cela sur fond de conflits religieux. En s’adressant à une habitante de Samarie, Jésus transgresse donc les usages de son peuple. Et il en transgresse encore un autre : homme, il demande à boire à une femme. L’un et l’autre ne devaient pas se rencontrer. Mais voilà que Jésus demande à boire à celle qui ne devait rien avoir à lui offrir. 

L’heure mentionnée par le récit indique le milieu du jour, la sixième heure, et en cet instant la fatigue et la soif de Jésus. Ses disciples ne sont pas là, il est seul. Tout cela n’est pas sans rappeler les circonstances de la crucifixion… Arrive cette femme, elle aussi est seule. La parole que Jésus lui adresse l’étonne car elle connaît, elle aussi, les divisions entre eux. Mais son étonnement se poursuit lorsque Jésus lui dit pouvoir lui offrir « de l’eau vive » alors qu’il n’a rien pour puiser. Confusion pour cette femme et pour nous alors que la traduction ne révèle pas tout à fait la nuance entre les termes. Il n’est pas question uniquement du lieu de la rencontre, du puits de Jacob (c’est à dire une réserve d’eau) et des cordes et seaux pour y puiser de l’eau, mais d’une source. Jésus, nous dit-on, est assis « à la source » ou « sur la source ». La Samaritaine, elle, vient chercher de l’eau « au puits ». Le puits parle de la soif de chaque jour, de la répétition nécessaire de l’acte de puiser pour se désaltérer. Et symboliquement, pour elle, le don se trouve dans le passé où l’on vient puiser sans cesse. La différence entre le puits et la source produit ici son effet car la source dont parle Jésus, elle, donne en continu une « eau vive ». Et c’est elle qui va offrir à la Samaritaine de regarder en elle afin de se tourner vers l’avenir. 

Si l’eau nous est nécessaire pour vivre, et nous le savons d’autant plus qu’elle se fait rare cet hiver et manquera donc cet été, cette eau n’est pas uniquement un moyen de se désaltérer un instant et de permettre la continuation de la vie que l’on connaît, mais cette « eau vive » porte en elle le jaillissement permanent d’une vie nouvelle. C’est là que le dialogue entre eux au sujet des époux de la Samaritaine devient pour nous un exemple de ce que l’évangile est capable de transformer et d’ouvrir en chacun de nous. En permettant à cette femme de relire sa vie, de faire vérité en elle, de mettre des mots justes sur son histoire, Jésus lui offre de ne plus chercher à se rassasier à ce qui ne comble pas mais de se tourner vers la vie nouvelle. Dans cette rencontre, Jésus ne fait pas un exposé de la vérité tout entière : il se donne tel qu’il est, dialoguant et se révélant ainsi comme le Messie. Ce faisant, il partage sa propre soif de l’oeuvre neuve possible en chaque vie. 

Dans la tradition de l’époque, les noces étaient souvent contractées près des puits, porteurs de vie au milieu du désert. Avec cette rencontre, il nous est bien donné d’entrevoir « les noces de l’Agneau » avec toute notre humanité. Et tout ce récit est fondamentalement baptismal : Jésus ne nous offre pas seulement de l’eau pour étancher une soif passagère, il nous invite à plonger tout entier dans cette source d’eau vive. 

Nous lisons que « beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus ». N’en doutons pas, cette femme devient elle-même porteuse de cette vie nouvelle pour ses coreligionnaires. Comme avec Marie-Madeleine au matin de la Résurrection annonçant aux disciples la Bonne Nouvelle, c’est une femme qui porte en elle l’Evangile et le partage avec d’autres. Oui, Jésus, le Christ, nous donne d’être, nous aussi, source jaillissante pour celles et ceux avec qui nous cheminons. Nous pouvons ainsi entendre l’invitation qui nous est faite de nous assoir à notre tour aux côtés de nos collègues, de nos voisins et d’entrer avec eux dans un dialogue fraternel et bienveillant, d’entendre à quelle source ils s’abreuvent sans être tout à fait rassasiés. Cette conversation, assise, à partir des soifs des gens, suppose notre propre conversation spirituelle avec le Christ. Le pape Paul VI parlait d’une impulsion de charité qui se traduit par un don extérieur de toute l’Eglise : « l’Eglise se fait conversation » (Ecclesiam suam §67) écrivait-il. Nous apprenons ainsi à rejoindre Dieu tel qu’il est, car Dieu est Parole. Le Verbe est venu vivre parmi nous pour nous faire entrer en dialogue avec le monde. Le dialogue est le style de Dieu, sa signature, sa manière de faire avec les hommes (Dei verbum §2). 

Autrefois, Juifs et Samaritains ne se fréquentaient pas. Il en était ainsi. Mais ce temps-là n’est plus. Le temps de la répétition des choses anciennes est révolu. Cette rencontre entre un Juif et une Samaritaine était vouée à l’échec : cela était sans compter que ce Juif est le Fils venu parmi nous pour nous tourner ensemble et tout entier vers le Père. 

Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 12 février 2023, 6e dimanche (Année A) – Sacrement des malades 

L’Evangile du jour n’est pas évident car nous pourrions être déçus du rapport que Jésus entretient apparemment avec la Loi : comme d’autres scribes ou pharisiens, spécialistes des normes et des interdits, il semble se référer à la Loi et rien que la Loi. Mais alors, qu’il y-a-t-il de nouveau dans tout cela ? Quoi de neuf avec le Christ ? Comment cette parole nous rejoint-elle aujourd’hui, au moment d’accompagner nos frères et soeurs dans le sacrement des malades ? 

Juste avant le passage lu ce matin, souvenez-vous, Jésus se situe sur la montagne avec ses disciples et révèle la véritable sagesse : les béatitudes. Nous les évoquions il y a quinze jours… Jésus nous y invite à prendre conscience du lien qui rattache notre vie présente au reste du monde. Et ce faisant, c’est toute notre vie d’homme qui porte la vie de Dieu. 

C’est donc là, à l’échelle de chacune de nos vies, que Jésus convoque l’Ecriture et qu’il nous faut entendre cette référence à la Loi et aux prophètes. Non pas pour devenir nous-mêmes des docteurs de la loi – Jésus les renvoie sans cesse vers leur stérilité -, mais pour venir incarner l’esprit de la loi. Non pas pour nous tenir fixement en présence de la Loi, mais pour devenir à notre tour prophètes dans le monde d’aujourd’hui, témoins de l’amour de Dieu. Jésus le dira : il ne s’agit pas d’abolir, mais d’accomplir. C’est-à-dire vivre non pas pour la loi, mais vivre en vérité à partir de la loi. Socrate avait cette formule, reprise plus tard par Molière dans l’Avare : « Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger ». Nous pourrions y trouver du sens… 

Vivre l’esprit de la loi…, c’est là l’œuvre de sagesse à laquelle nous sommes invités : lorsque nous entendons la clameur de la Terre et la clameur des pauvres, lorsque nous discernons les signes des temps avec espérance, lorsque nous agissons pour relever le défi de la fraternité et de la solidarité.  

C’est ainsi, précisément, que nous pouvons reconnaître celles et ceux qui, dans leur chair ou dans leur âme, souffrent. Ils sont nos parents, nos voisins, nos amis, mais aussi des anonymes dans nos rues, des étrangers dans des campements de misère, des victimes de tremblements de terre ayant tout perdu… Les membres de notre communauté qui le souhaitent vont, dans quelques instants, recevoir le sacrement des malades. Parmi ces rendez-vous qui nous sont donnés tout au long de notre vie chrétienne, celui-ci s’attache à nous faire reconnaître notre humilité et notre finitude. Ne pouvant trouver du sens là où l’épreuve et la souffrance obscurcissent tout, avec eux, nous allons nous tourner vers Dieu pour les accompagner dans ce temps difficile.   

Souvenons-nous de la manière dont Jésus se laisse sans cesse toucher, émouvoir, par celles et ceux qu’il rencontre. Il se laisse toucher, et il touche afin d’offrir sa paix. Ne cherchons pas à nous faire plus doctes que les scribes ou les pharisiens, mettons nos efforts à nous ajuster toujours plus à l’Evangile pour nous faire proches de ceux qui en ont le plus besoin. Ne nous faisons pas les juges des autres, devenons pour eux des frères et des soeurs. La Loi et les prophètes ne verrouillent pas notre vie, ils l’ouvrent et nous offrent un nouveau commencement. 

Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 29 janvier 2023, 4e dim. temps ordinaire (Mt 5, 1-12)

« Il est où le bonheur ? » s’interrogeait Christophe Maé dans une de ses chansons. Voilà une question partagée par la plupart de nos contemporains, jeunes ou âgés, hommes ou femmes, chrétiens ou d’une autre confession. Tous, nous cherchons le bonheur. Comment le trouver ? Comment le cultiver ? 

Peut-être en commençant à voir la vie autrement. C’est l’invitation du Christ qui, dans ce passage de Matthieu comme chez Luc, vient nous surprendre dans ses « Béatitudes » : le bonheur ne serait pas là où on l’attendrait ! Il n’est pas dans la possession, ni dans le pouvoir, ni dans la gloire… Non, pour trouver le bonheur le Christ nous invite à poser un autre regard sur ce qui fait la réalité du monde, porter le regard un peu plus loin, au-delà de la surface des choses. Avec confiance, il nous invite à y découvrir ce qui donne sens à notre vie. 

Le Fils nous connaît si bien, qu’il sait, lui, avec le Père, où la joie véritable réside. Oui, Jésus ne cesse de se mettre « à hauteur d’homme » pour nous parler de nos vies, pour nous parler de ce monde, pour nous parler du véritable bonheur à rechercher. Alors ça nous surprend car dans les Béatitudes, il évoque le manque, l’absence, la faim, la peine… tout ce qui fait nos fêlures humaines. Evidemment, ce n’est pas pour en faire la louange, et nous ne devons pas cesser de nous indigner devant la souffrance quotidienne de tant d’hommes et de femmes. 

Nous pouvons, aussi, comprendre que nous ne pourrons être comblés, rassasiés, satisfaits par les biens de ce monde. Ce qui nous est donné de découvrir dans ce passage de l’Ecriture, c’est la nécessaire humilité et simplicité de notre vie, découvrir un sens à ce qui, semble-t-il, n’en aurait aucun. Autrement dit, les Béatitudes nous parlent de l’espérance.

Les propos de Jésus sont véritablement à contre-courant de son temps comme du nôtre. L’évangile continue aujourd’hui de renverser ce qui serait « dans l’ordre des choses ». Souvenons-nous des mots de Saint Paul : « ce qu’il y a de fou, de petit dans le monde… Voilà ce que Dieu choisit » (1 Co 1, 27). Oui, Dieu sait voir en nous le meilleur : notre capacité à grandir dans l’espérance, à changer notre regard sur le monde, à élargir notre cœur aux plus petits, à nous faire solidaires les uns des autres ; notre capacité à devenir des artisans de sa Paix, des ouvriers du Royaume. Les Béatitudes sont en quelque sorte le profil recherché pour cette embauche-là.  

Je ne résiste pas à mentionner Madeleine Delbrêl une fois de plus. Vous savez, cette assistante sociale, poète et mystique et, justement, bientôt Bienheureuse de l’Eglise. Comme Thérèse de Lisieux, elle aimait la petitesse et l’humilité. Elle préférait « bien plus les zéros que les héros », car après tout, disait-elle, ce sont bien les zéros qui donnent toute leur valeur aux nombres, pas les héros : sagesse à contre-courant de nos envies de succès ou de rêves de devenir des super-héros. 

Je ne sais si vous avez fait attention, les Béatitudes sont toutes au présent (à l’exception de la première et de la huitième qui les encadrent) et orientées vers une promesse exprimée au futur. Cette brèche n’ouvre pas la perspective d’un au-delà consolant, elle révèle la portée nouvelle de ce qui se vit ici et maintenant. Par ailleurs, les Béatitudes sont au pluriel, elles concernent une multitude – comme la prière eucharistique que nous allons entendre tout à l’heure -, elles nous saisissent ensemble, les uns avec les autres. Elles nous invitent à laisser passer l’amour en nous et entre nous pour réaliser cette œuvre commune. Heureux ceux qui laissent passer l’amour, pourrions-nous dire. A la suite du Christ, les Béatitudes nous convient à nous faire les prochains de nos frères et soeurs en humanité.  

C’est ce que le Pape nous redit dans son exhortation apostolique « La joie et l’allégresse » (§107, 2018). Pour François, il s’agit non seulement de supporter les défauts des autres, mais aussi y reconnaître nos propres faiblesses et ainsi rejoindre nos frères humains dans leurs difficultés, leurs angoisses, leurs souffrances. En citant sainte Thérèse de Calcutta, il écrit : « Oui, j’ai beaucoup de faiblesses humaines, beaucoup de misères humaines […] Mais Dieu s’abaisse et il se sert de nous, de vous et de moi, pour que nous soyons son amour et sa compassion dans le monde, malgré nos péchés, malgré nos misères et nos défauts. Il dépend de nous pour aimer le monde, et lui prouver à quel point Il l’aime. Si nous nous occupons trop de nous-mêmes, nous n’aurons plus de temps pour les autres. »

La force qui nous anime ne vient pas de nous-mêmes, l’amour vient de Dieu. Sortons d’une logique de concurrence, de perfection, d’orgueil. Nous ne sommes pas appelés à être des « hommes améliorés », mais tout simplement des témoins de l’amour. Libérons-nous des obligations de notre temps, déplaçons notre centre de gravité pour rejoindre les périphéries de notre monde. 

Dans sa chanson, Christophe Maé finit ainsi : « Il est où le bonheur ? Il est là. » Pour nous chrétiens, nous pourrons dire qu’il est là où il se cherche avec d’autres, plutôt que de s’acharner à le trouver tout seul. Il est là où nous le cultivons simplement et à plusieurs, plutôt que de le cacher et de le garder pour soi. Alors soyons quelques bienheureux « zéros » semés ici et là dans le monde, juste aux côtés de nos frères et sœurs en humanité, pour leur révéler toute leur valeur et partager, avec eux, la joie de l’Evangile. 

  1. Guillaume Roudier

 

Homélie samedi 24 décembre 2022 – Nativité du Seigneur (Lc 2,1-14)

 

Une fois de plus, Noël a une saveur particulière en cette fin d’année. Alors que la crise sanitaire est toujours là, que les combats font rage en Ukraine et dans de trop nombreux pays dans le monde, que le coût de la vie est toujours plus lourd pour les plus fragiles, que les migrants périssent en mer, que la planète toute entière souffre du réchauffement, comment ne pas sombrer dans le découragement ? Ce soir, ayons une pensée particulière pour celles et ceux qui sont empêchés de se réunir à cause de la Covid, pour ceux qui sont isolés à cause des grèves, malades, détenus. Et ce soir, laissons-nous encore surprendre par ce récit qui nous semble pourtant si familier…  

En effet, ce que nous venons d’entendre ne doit cesser de nous émerveiller. Souvenez-vous, au début de ce récit : « En ces jours-là parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie ». Ce récit ne commence pas par « il était une fois ». Luc ne nous raconte pas un conte merveilleux pour nous endormir. Non, l’évangéliste nous rapporte ce qui s’est réellement passé sur la terre des hommes, en un moment de notre histoire : il y a plus de 2 000 ans, en Palestine. Ce n’est pas un conte pour nous endormir, c’est un récit qui nous éveille ! Il nous éveille, et il nous réjouit car la nuit de Noël est unique. C’est la nuit où la vie des hommes et la vie de Dieu se mêlent dans une même histoire, définitivement liées. 

« Un enfant nous est donné ». Par ces mots, le prophète Isaïe annonçait depuis longtemps la venue du Sauveur. En ce qui nous concerne, depuis plusieurs semaines, nous avons cheminé. Nous avons vécu l’Avent avec des figures comme Jean-Baptiste et Marie, en portant notre regard vers cette sainte nuit, déjà guidés par l’étoile qui allait bientôt venir s’arrêter au-dessus de cette étable de Bethléem. Désormais, nous avons à nous réjouir car l’espérance et la paix sont venues à nous et elles ont un visage : celui d’un petit enfant. Etonnement, Dieu choisit ce qu’il y a de plus petit, de plus fragile en notre humanité pour venir à notre rencontre. Christian Bobin, poète décédé récemment, écrivait : « Au centre de Noël il y a juste un petit enfant qui dépend de tout, qui est menacé de tout. (…) Cette fragilité de l’enfant on l’a tous. Le message qui nous est donné c’est d’être dans la confiance malgré cette fragilité. »

Les parents (et les grands-parents) le savent bien, ils savent reconnaître dans les yeux éveillés des enfants le signe d’un avenir donné, le visage de l’espérance. Oui par son Fils, Dieu nous sauve du non-sens et nous fait le don de l’espérance. Il fait ce don à tous les hommes, sans exception. Bien sûr, petits et grands, nous aimons entendre de belles histoires pour nous faire rêver et nous faire voyager dans des mondes imaginaires où il n’y aurait pas la guerre, dans d’autres galaxies lointaines où chacun aurait de quoi se nourrir et un toit au-dessus de la tête… Mais l’enfant de la crèche que nous célébrons en cette nuit de Noël nous le rappelle : si notre monde n’est pas exempt du doute et du désespoir, c’est bien là, en son coeur, qu’une lumière est venue. C’est là que Dieu vient. 

En cette nuit de Noël, Dieu naît, pauvre et nu, vulnérable, dans une mangeoire à Bethléem. Au cours de sa vie, Jésus nous émerveille sans cesse par sa capacité à rencontrer l’autre, à partager avec lui, sans tabou, sans a priori : les Pharisiens, les pêcheurs, la Samaritaine, le légionnaire romain, etc. Ce souci de l’autre et cette nécessité du partage sont inscrits au centre de notre foi. Alors, même si toutes les portes ont été fermées en cette nuit de Galilée, même si Joseph et Marie n’ont pas su où s’abriter, nous, nous pouvons tout faire aujourd’hui pour ouvrir nos portes et nos cœurs à ces hommes et à ces femmes que Dieu nous donne chaque jour à aimer. Et en premier lieu les plus petits, les plus fragiles, ceux qui, comme cet enfant dans la mangeoire, sont « sur la paille ». Ce sont eux à qui les anges annoncent la Bonne Nouvelle en premier, les bergers de l’Evangile : les sans-nom, les sans-toit, les sans-papiers, les sans-emploi, les sans-famille… Ce sont eux, qui, comme Joseph et Marie, se retrouvent devant des portes closes. Ces jours de fête sont l’occasion de nous réjouir avec nos proches, mais n’oublions de partager la Bonne Nouvelle de Noël avec tous les autres. 

Madeleine Delbrêl, assistante sociale et mystique ayant vécu en banlieue parisienne auprès des plus pauvres, écrivait : « Un jour de plus commence, Jésus en moi veut le vivre. Il ne s’est pas enfermé, il a marché parmi les hommes. Avec moi il est parmi les hommes d’aujourd’hui. Il va rencontrer chacun de ceux qui entreront dans la maison, chacun de ceux que je croiserai dans la rue. (…) A travers les proches frères qu’il nous fera servir, aimer, sauver, des vagues de sa charité partiront jusqu’au bout du monde, iront jusqu’à la fin des temps. Béni soit ce nouveau jour, qui est Noël pour la terre, puisqu’en moi Jésus veut le vivre encore. » 

L’événement de Noël n’efface rien de la difficulté de notre vie quotidienne, ni de la complexité du monde. Nous le savons bien, de nombreux sujets divisent. L’année à venir, nous aurons à nous mobiliser encore pour la paix et la justice, pour plus de solidarité et de fraternité. Alors même que le dialogue est parfois difficile au sein de nos familles et autour de nous, nous avons pourtant le devoir, comme chrétiens, de vivre notre diversité dans l’unité, de faire vivre le dialogue comme témoignage de notre commune humanité. Soyons plus attentifs à la manière dont Dieu entre en relation avec nous par les autres, ceux devant qui nous détournons parfois le regard ; soyons plus attentifs à l’amour, à l’espérance et à la charité. 

Dieu a choisi depuis toujours d’être avec nous. Dans cette nuit de Palestine, cette relation trouve son accomplissement : la naissance du Fils en notre humanité, marquée par la fragilité et nos limites. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » écrivait Saint Athanase. Cet admirable échange ne peut s’accomplir qu’en allant au bout de notre humanité, qu’en nous faisant les frères et les soeurs de chacun et de tous, en nous laissant guider par l’étoile qui brille en cette nuit. Avec Jésus, osons croire en ce qui vient, osons vivre aujourd’hui, et chaque jour de l’année à venir, la joie de l’Evangile. Oui, depuis cette nuit de Palestine, tout a changé : « un enfant nous est né ». Joyeux Noël à tous, joyeux Noël à notre monde !    
Guillaume Roudier


Homélie – dimanche 4 décembre 2022 – 2
e dimanche de l’Avent A (Mt 3, 1-12)

Cela fait maintenant plus d’une semaine que Noël se prépare. Et il serait bien difficile de ne pas s’apercevoir que Noël approche alors que les décorations illuminent nos villes, que les vitrines sont garnies, que les téléfilms parlent tous de Noël… Noël approche, c’est sûr. Mais une question demeure : est-ce que nous, nous nous approchons de Noël ? Si le calendrier avance vers la Nuit de Noël, si les petits et les grands attendent de faire la fête, d’échanger des cadeaux, de faire un bon repas… notre cœur, lui, s’avance-t-il vers Noël ? Autrement dit, en ce temps de l’Avent, en ce temps de l’attente, comment préparons-nous nos cœurs à accueillir Celui qui vient habiter parmi nous ? Comment préparons-nous le chemin du Seigneur ? C’est l’interpellation de tous les prophètes depuis Isaïe, jusqu’à Jean-Baptiste aujourd’hui. 

Dans l’évangile, Jean-Baptiste interpelle fortement les pharisiens et les sadducéens puisqu’ils se reposent sur de prétendus privilèges religieux pour atteindre le Royaume. Cela s’adresse aussi à nous si nous comptons seulement sur nous-mêmes plutôt que sur la grâce de Dieu qui vient à nous en cet enfant de la crèche, qui se fait tendresse et humilité pour toute l’humanité.

Il nous faut nous convertir, il nous faut préparer ses chemins, rendre droits ses sentiers. Evidemment, il ne s’agit pas de nous transformer en agents de la voirie. Non, il s’agit de rendre droites les routes sinueuses de notre coeur, de s’orienter sur le Christ, de viser la fraternité, de combler les fossés de l’indifférence, d’abattre les montagnes de l’orgueil qui nous séparent les uns des autres, et qui finalement nous séparent de Dieu. 

Jean-Baptiste portait un vêtement simple et se nourrissait de peu. Cette sobriété heureuse nous rappelle que l’essentiel en ces fêtes à venir ne sera pas l’opulence de la table ou le nombre de cadeaux donnés et reçus, mais bien le message que Noël porte et dont nous devons rendre témoignage, une Bonne Nouvelle pour notre monde. 

C’est cela qui nous est demandé : d’être des ouvriers qui mettons nos cœurs en chantier pour accueillir Celui qui vient, pour accueillir Celui qui est déjà là. Oui, il nous est demandé d’écouter le cri de la Terre et des plus petits, puisqu’il est là ; que notre cœur apprenne à parler au cœur de celles et ceux qui ne partagent pas notre foi, puisqu’il est là. Il nous est demandé de vivre avec eux un cœur à cœur pour l’amour et la vérité, pour la justice et la paix. Puisqu’il est déjà là. Pour que vivent ensemble le loup et l’agneau, le léopard et le chevreau, le nourrisson et le cobra… puisqu’il est déjà là, parmi les nations du monde. 

Entendons encore et encore résonner ces mots de Saint Paul : « Accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu. » Il ne s’agit pas d’être naïfs et de nier nos désaccords et nos différences, il s’agit de se convertir, de n’avoir de cesse d’ajuster notre manière d’être en relation aux autres, nos actions, à la foi que nous professons. 

Alors nous pouvons toujours attendre et faire le décompte des jours qui nous séparent de Noël, nous pouvons ouvrir les cases de nos calendriers de l’Avent remplis de chocolats, mais n’oublions pas le chantier que Dieu a déjà commencé en nous et qu’il nous demande de poursuivre. Car ce n’est pas nous qui devons attendre patiemment le jour où Dieu va venir, mais c’est Dieu qui attend, chaque jour, avec impatience, le moment où nous allons venir à lui, le moment où nous allons ouvrir nos mains crispées, ouvrir nos yeux embués, ouvrir nos cœurs engourdis. 

Et comme Jean Baptiste, parcourons notre temps, passons du désert de Judée au fleuve Jourdain, faisons de l’aridité de nos vies, un fleuve de solidarité et de fraternité. Ne disons pas : « Noël ? C’est pour bientôt ! » Mais disons : « Noël ? C’est déjà aujourd’hui ! » 

 Guillaume ROUDIER

Homélie du dimanche 6 novembre 2022, 32e dimanche du Temps ordinaire (Lc 20, 27-38)

Jésus est à Jérusalem, et, au temple, il enseigne face à différents groupes qui le mettent à l’épreuve. Ce jour-là ce sont des sadducéens, ils sont proches du pouvoir et constituent un parti religieux puissant. Ils croient en la tradition de Moïse et en la loi de celle-ci. Et parce qu’elle n’apparaît pas dans le Deutéronome, ils ne croient pas à la résurrection des morts comme les pharisiens, eux, y croyaient. 

Les sadducéens veulent se moquer de Jésus et de l’annonce de la Résurrection, ils vont donc provoquer Jésus en lui soumettant un raisonnement absurde, toujours en s’appuyant sur un commandement de Moïse.  Ils imaginent la résurrection comme un moment où tous les morts se retrouveraient au même lieu, au même instant. Comme un prolongement illimité de la vie terrestre. D’où le problème qu’ils posent : de qui cette femme, la veuve de tant de maris, serait-elle l’épouse ? 

Évidemment, les sadducéens, et peut-être nous aussi, nous avons bien du mal à imaginer ce que veut dire réellement « résurrection ». Des sondages réguliers révèlent que certains chrétiens ne croient pas en la résurrection. Mais peut-être se fait-on de la résurrection une idée un peu trop matérialiste…

Serait-ce une nouvelle vie qui recommence, comme une réincarnation ? Ou serait-ce comme Jésus le révèle sur la montagne, une vie humaine totalement transfigurée, totalement révélée ? Non pas une nouvelle vie, mais la vie nouvelle. De plus, si on y prête attention, les sadducéens parlent de la résurrection au futur mais Jésus, lui, répond au présent. Une manière de nous convoquer ici et maintenant à cette nouveauté. 

Citons Joseph Moingt, théologien jésuite mort en 2020 à l’âge de 105 ans : 

« Le mystère de la résurrection ne nous parle pas d’une autre vie que celle que nous avons à mener dès maintenant, il nous retourne vers l’énigme de cette vie, il en dévoile les profondeurs, il en déploie toutes les dimensions : notre vie n’a pas en elle son commencement et sa fin, car elle était avant nous et nous survivra ; elle n’est pas réalité solitaire, possession exclusive, elle est partage, communion à la vie de l’univers et à celle des autres ; elle n’est pas un pur donné, elle est à faire, une tâche à remplir. 

Consentir à la vie comme à un don reçu, c’est accepter de la partager avec d’autres, de la communiquer, c’est entrer dans l’univers de la vie, accepter de s’y perdre, et de la perdre, sortir de soi et aller aux autres, vivre de la vie des autres, c’est vivre intensément, aller jusqu’au bout de nos ressources de vie, entrer dans le réseau infini des ramifications de la vie qui font de l’univers et de ses habitants un immense et multiple vivant. S’abandonner en toute gratuité à ce ressac de la vie qui enrichit de ce dont elle dépouille, se laisser aspirer par elle vers les hauteurs, c’est cela « naître d’en haut », renaître de l’Esprit », s’approcher du royaume des cieux. » Études, juin 2005

La résurrection ne concernerait donc non pas une vie après notre vie sur terre, mais la vie nouvelle déjà offerte, la vie à vivre autrement dans l’ordinaire des jours. Autrement dit, la résurrection est bien autre chose que ce que nous avons représenté autrefois : ces corps se levant de tombeaux. Je crois qu’il s’agit bien plutôt de ces corps-ci, nos corps d’aujourd’hui, nos corps de vivants : chair et âme… Oui, la résurrection pourrait bien être déjà là ! 

Ce serait cet instant où les fils et filles de ce monde se découvrent ensemble être des fils et des filles de Dieu, des enfants de la résurrection, semblables à des anges comme le révèle l’Evangile, c’est-à-dire invités à porter la parole de Dieu. Du coup, il ne s’agit plus seulement de s’interroger sur le mariage au regard de la loi, il s’agit d’une fécondité bien plus universelle, au regard de l’amour de Dieu.

Encore une fois, la résurrection des morts n’est pas seulement au terme de notre vie, elle a déjà commencé ! Elle est une vie nouvelle, une vie quotidienne transfigurée lorsque surgissent la vérité et la confiance du Christ, lorsque nous ne sommes plus la finalité de notre vie, mais lorsque le Christ en devient le pivot, le centre, et les hommes l’horizon. Quand l’Eglise se décentre d’elle-même et qu’elle fait des périphéries, quand elle fait des plus pauvres, son centre. 

Bien sûr, la loi, celle de Moïse, celle des hommes, est faite pour nous préserver du pire, mais n’oublions pas que Dieu parle par son Esprit aux hommes de chaque génération : celle d’Abraham, celle d’Isaac, celle de Jacob, et la nôtre. Il nous parle afin de nous élever dans l’espérance, il nous parle afin de nous relever dans la confiance… autrement dit pour nous ressusciter. 

En somme, nous pourrions dire que la résurrection (notre résurrection) débute chaque jour. Nous ne sommes pas seulement des mortels condamnés à mourir, mais des vivants appelés à vivre. Et avec Abraham, Isaac et Jacob, avec tous celles et ceux qui nous ont précédés, nous vivrons éternellement puisque Dieu ne cesse de nous aimer aujourd’hui, demain et jusqu’à la fin des temps. Il est notre Dieu, le Dieu des vivants.
Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 30 octobre 2022, 31e dimanche Temps ordinaire (Lc 19)  

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… » Vous vous rappelez peut-être du début de ce poème de Joachim du Bellay qui raconte l’expérience personnelle de ce poète du XVIe s. ? Comme tout humaniste de son époque, après avoir visité Rome et l’Italie, après « un beau voyage », il rentre, heureux de retrouver son « chez lui ». Ce n’est pas tout à fait l’expérience de Zachée aujourd’hui. 

Qui est Zachée, que savons-nous de lui ? Il est collecteur d’impôts (c’est-à-dire un publicain, un juif qui coopère avec l’occupant romain pour récolter les taxes dues à l’empereur – donc un pécheur au regard de la Loi juive), et même le chef des collecteurs, il est quelqu’un de riche (qui sûrement prélève sa part au passage). Un pécheur, un chef, un riche. 

Zachée vit pour son métier, pour gagner de l’argent. Il vit pour sa carrière, il a « la tête dans le guidon » comme on dirait aujourd’hui, et il ne regarde pas ceux sur le bord de la route. Il ne parvient plus à prendre la juste distance par rapport à ce qui fait sa vie, et sûrement croit-il qu’en s’enrichissant toujours plus, et parfois au détriment des autres, il sera comblé. 

Il cherche néanmoins à voir qui est Jésus, celui pour lequel la foule, nombreuse, s’amasse. C’est un obstacle pour lui, l’homme de petite taille. Il court en avant d’elle et grimpe sur un grand arbre, un sycomore, qui peut atteindre jusqu’à 30 m de haut, afin de le voir passer. Il y a donc du mouvement en tout cela : il cherche, il court, il grimpe, et tout cela pour voir Jésus. 

Mais alors que Zachée cherche à voir Jésus, c’est Jésus qui le voit. Celui qui voulait voir est vu. Il le voit, et il l’appelle par son nom. Comment le connaît-il ? Qui lui a révélé son nom ? Peu importe. Il l’interpelle : « descends vite ». Quel singulier empressement ! « Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison » : quelle étrange nécessité ! Alors que Jésus traverse Jéricho pour monter une dernière fois vers Jérusalem, il choisit de demeurer chez un pécheur, un chef, un riche. En faisant ce détour par la maison de Zachée, Jésus fait ce qu’il a dit dès le début de son itinéraire, et il le fait jusqu’au bout : « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs » (Lc 5, 32)

Entre Jésus et nous, c’est toujours une histoire de rencontre, une rencontre dont le Seigneur a l’initiative.  

Puis nous entendons Zachée parler à Jésus de ses richesses, de ce qu’il possède, ou plutôt de ce qui le possédait jusque-là. Désormais, il en fera un tout autre usage : il va donner la moitié de ses biens, et il va rembourser par quatre ses torts. Là où il prenait sans être comblé, désormais il y aura une joie à donner. Ce qui l’envahissait, cette part de lui qui prenait au lieu de donner est maintenant transformée ; ce qui était perdu en Zachée est  désormais sauvé. Celui qui désire voir Jésus se trouve finalement révélé à lui-même. 

En allant demeurer chez lui, symboliquement en lui, le Seigneur donne un sens à la vie de Zachée et il l’embellit à jamais. La rencontre avec Jésus n’efface pas nos erreurs ou nos défauts. Mais de tout cela, de manière mystérieuse, comme à la table de l’eucharistie, il crée une humanité nouvelle, des hommes et des femmes solidaires de leurs frères et soeurs.

Le Christ fait ainsi pour chacun d’entre nous : il pose son regard et il nous appelle chacun par notre nom. Il veut désormais demeurer en nous. Alors, comme Zachée, si nous cherchons réellement à rencontrer Jésus qui marche sur les routes de notre temps, si nous voulons sincèrement le recevoir en notre coeur, il nous faut être prêts à nous laisser convertir par lui pour finalement renouer avec celles et ceux à qui nous avons causer du tort : les membres de nos familles, nos voisins, nos collègues… Zachée se déplace intérieurement, et cela va déplacer toute sa vie. Il ne sera jamais plus le même. Comme ce « fils d’Abraham », soyons prêts à courir, à grimper, à descendre, soyons prêts à nous mettre en mouvement afin d’accueillir Jésus avec joie : « Heureux qui comme Zachée commence un beau voyage… » 

 Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 11 septembre 2022, 24e dimanche Temps ordinaire (Lc 15)  

« L’homme existe, je l’ai rencontré ! » Connaissez-vous cette histoire de Raymond Devos ? En méditant les textes que la liturgie nous propose aujourd’hui, j’ai repensé à cette petite histoire drôle, je vous la rappelle : 

Dans un petit village de Lozère abandonné des hommes, 

il n’y avait plus personne.

Et en passant devant la vieille église, 

poussé par je ne sais quel instinct,

je suis entré…

Et là, j’ai été ébloui, par une lumière intense… insoutenable !

C’était Dieu…

Dieu en personne,

Dieu qui priait !

Je me suis dit : Qui prie-t-il ? 

Il ne se prie pas lui-même ? Pas lui ? Pas Dieu ?

Non ! Il priait l’homme !

Il me priait, moi !

Il doutait de moi

Comme j’avais douté de lui !

Il disait : -O homme !

si tu existes, un signe de toi ! 

J’ai dit : Mon Dieu je suis là !

Il a dit : Miracle !

Une apparition humaine !

Je lui ai dit : Mais, mon Dieu… 

Comment pouvez-vous douter

de l’existence de l’homme, puisque c’est vous qui l’avez créé ?

Il m’a dit : Oui… Mais il y a si longtemps 

que je n’en ai pas vu à l’église…

que je me demandais si ce n’était pas une vue de l’esprit !

Je lui ai dit : Vous voilà rassuré, mon Dieu ! 

Il m’a dit : Oui !

Je vais pouvoir leur dire là-haut :

« L’homme existe, je l’ai rencontré ! »

Dieu est à la recherche de l’homme. Oui, je crois sincèrement que Dieu nous cherche – et pas seulement à l’église – et qu’il ne cesse de venir à notre rencontre sur nos routes humaines. L’évangile de Luc nous le révèle dans ces petites histoires en paraboles (moins amusantes que celles de Devos), nous rappelant ce message essentiel.   

Dans la première parabole, celle de la brebis égarée, perdue, nous comprenons tout l’aspect affectif du berger qui ne peut se résoudre à laisser une pauvre brebis livrée à elle-même quand bien même il en dispose de 99 autres. Le berger apprécie de prendre chacune d’elles sur ses épaules pour les aider à traverser les passages difficiles et nous ramener auprès de lui, au côté des autres. C’est sa grande joie, la grande joie de Dieu, une joie qui se partage : « Réjouissez-vous avec moi ! »

La deuxième parabole, celle de la pièce retrouvée, porte un peu le même sens et nous entendons, là encore, que la joie n’aurait de sens qu’en se partageant, même pour ce qui peut nous sembler le plus simple et le plus insignifiant. Pourtant, ni la brebis ni la pièce n’ont montré beaucoup d’effort pour être retrouvées ? Elles ne reviennent pas d’elles-mêmes et sont assez passives. Peut-être Luc cherche-t-il à nous dire ici combien la joie de Dieu à nous aimer est première, bien plus forte que nos égarements et nos hésitations à revenir ? Oui, en toute situation, en chaque vie humaine, que nous soyons perdus ou apeurés par ce qui nous entoure, c’est bien Dieu qui a l’initiative des retrouvailles. C’est là toute l’histoire du salut, l’histoire même de ce Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu qui vient parmi nous. 

Et l’évangile poursuit avec un troisième récit, celui que nous appelons parfois à tort du « fils prodigue » mais qui est bien celui du « père prodigue ». Car c’est le père qui, dans sa grande bonté, donne sans compter et partage avec amour, pas le fils qui s’égare et dilapide ce qu’il a reçu. En effet, après avoir voulu vivre par lui-même et uniquement pour lui-même, ce jeune homme s’en retourne s’abandonner dans les bras de son père.  

Dans les bras de son père, et vers la jalousie de l’autre fils ! C’est bien là un grand défi, pour notre temps en particulier, alors que nous cherchons sans cesse à posséder ce que l’autre détient et que nous envions la vie des autres. Si nous pouvons être le fils cadet qui se détourne du père en consumant tout, nous pouvons aussi être le fils aîné qui s’en détourne en jalousant son frère.  

Et nous, comment aurions-nous réagi au moment du retour de ce frère perdu ? A quelle justice ferions-nous appel pour juger ceux qui se trompent et s’égarent ? Quel homme, quelle femme sommes-nous ? Ou plutôt, quel frère, quelle sœur sommes-nous pour ceux blessés et brisés par la vie ? Oui, ce « grand » frère que nous découvrons a bien du mal à se réjouir avec son père. Voire, il ne reconnaît pas cet homme qui revient comme étant son frère et il dira : « ton fils que voilà ». Pourtant le père attend de lui qu’il partage sa joie et qu’il se risque enfin à dire : « mon frère ». 

Nous l’avons dit, Dieu aime le premier. Mais sommes-nous capables de participer à sa joie et d’aimer à notre tour ? Acceptons-nous d’aimer avec lui, comme lui, sans rien attendre en retour sinon la joie de ce partage sincère et vrai ? Sommes-nous capables de ne plus simplement dire « ton fils » mais « mon frère » ? Sans préjuger de celui qui vient, sans juger de sa vie ni de ses choix ?  

Je crois que nous sommes capables d’un tel amour et d’une telle miséricorde. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » nous dit Luc au débit de son évangile (Lc 6, 36). Soyons amour comme notre Père est amour. 

Moïse croit en la promesse universelle et éternelle de l’amour, et il intervient auprès de Dieu pour ses frères. Paul, plein de gratitude envers le Christ, ne cesse de parcourir le monde pour rejoindre ses frères et partager sa joie. A notre tour, réjouissons-nous : « L’homme existe, nous pouvons le rencontrer. »

Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 28 août 2022, 22e dimanche Temps ordinaire (Lc 14)  

Jésus l’a bien observé, hier comme aujourd’hui, nous sommes souvent en quête de reconnaissance. Nous éprouvons le désir d’exister aux yeux des autres. Dans notre monde contemporain, celui de l’anonymat de nos villes, il est évident que l’un des drames les plus poignants est celui de n’exister pour personne, de croire que personne ne compte sur nous, que personne n’a besoin de nous. 

Combien, peut-être parmi vous, souffrent de vivre seuls, de vivre éloignés de leur famille ? Combien souffrent du mépris ordinaire en tendant la main alors que nos yeux se détournent ? Combien ont le sentiment de ne compter pour rien alors qu’ils ne trouvent pas de travail ou que celui qu’ils accomplissent n’est pas valorisé ni reconnu ? Humains, nous sommes des êtres sociaux éprouvant le besoin d’être aimés. 

Mais ce besoin de reconnaissance et d’amour que nous ressentons ne doit pas nous envahir, il ne s’agit pas seulement de s’inquiéter en se souciant de qui suis-je le prochain, il s’agit aussi de s’interroger : « de qui me fais-je le prochain ? » Décentrons-nous un peu de nous-mêmes et plutôt que de se perdre dans la recherche de reconnaissance et d’honneur, prenons la peine de réfléchir à comment signifier à l’autre qu’il compte pour moi, qu’il a du prix à mes yeux ? Après tout, n’est-ce pas le souci de Dieu envers chacun de nous ?! 

Oui, combien de fois, dans l’Ecriture, entendons-nous que Dieu renverse nos logiques et nos attentes toutes humaines ? Cette semaine, dans les lectures qui nous étaient proposées, nous avons pu lire : « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers » (Mt 20,16) ou encore : « scandale pour les uns, folie pour les autres » (1 Co 1, 23), « ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi » (1 Co 1, 28). Et ce matin enfin : « plus tu es grand, plus il faut t’abaisser. » (Si 3, 18)

Il nous faut donc changer notre regard et notre cœur, ne pas raisonner à partir de nous-mêmes, et plutôt que de nous épuiser à tenter de nous hisser au sommet, reposons-nous en nous abaissant, comme le Christ lui-même s’est abaissé. Peut-être à contre-courant des règles du succès et de la gloire, il y a là une véritable sagesse : la sagesse de l’humilité. Cela revient à vivre une réelle charité envers les plus petits, ceux qui sont les derniers aux yeux du monde et qui sont appelés à devenir premiers aux yeux de Dieu. Avec le Christ, nous abaisser, cela signifie nous mettre à hauteur d’homme. Et c’est en suivant son appel à le rejoindre que nous trouverons notre place véritable : celle de frère et de soeur, celle de fils et de fille. La hiérarchie et les honneurs s’effacent devant la véritable fraternité humaine. 

« Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. » (Si 3, 17) Nous l’avons entendu, elle est là notre véritable place, « dans l’humilité ». C’est étonnant : humilité et humus, ce terreau fertile déposé à même le sol et fait de ce qui meurt, ces termes ont la même racine étymologique : la terre, le sol. Comme une invitation à nous rappeler d’où nous venons, comme pour signifier que quelque chose doit mourir en nous pour qu’autre chose puisse naître. Et si « la condition de l’orgueilleux est sans remède » selon Ben Sira, un cœur humble sera fertile tel l’humus, terre d’avenir où la graine semée va pouvoir germer. Comme Dieu est fécond et porteur de vie, soyons nous aussi aimant, invitant, appelant chacune et chacun à l’existence.  

Elle est là notre place, dans l’humilité. Mais attention, ne confondons pas humilité avec humiliation. Car il n’est pas question un seul instant de nous déprécier, de nous mal traiter, d’accepter que la dignité de l’une ou de l’autre soit remise en question. Humilité n’est pas humiliation, c’est pourquoi il nous faut tout autant veiller, dénoncer et résister à ces lieux qui abaissent l’Homme sans jamais l’élever : la précarité et la misère, la violence et la guerre, la haine et le mépris ordinaire. 

Avec la joie du serviteur, puissions-nous, humblement, labourer nos cœurs pour y planter un témoignage véridique de Dieu ; puissions-nous nous abaisser à hauteur d’homme sans jamais accepter que l’humain soit humilié.

Guillaume Roudier

Homélie – lundi 15 août 2022, Fête de l’Assomption (Lc 1, 39-56)  

Le passage de l’Evangile que nous lisons aujourd’hui est bien connu. Plus qu’une simple visite d’une femme enceinte à une autre femme enceinte pour s’échanger des conseils ou s’apporter mutuellement du soutien, il s’agit d’une visitation. C’est-à-dire de la rencontre de deux vies, de deux histoires, celle de Marie et celle d’Elisabeth, chacune faisant en elle-même l’expérience de la grâce. A travers cette rencontre, Elisabeth et Marie nous montrent le chemin de toutes nos rencontres humaines, ce à quoi nous sommes tous appelés si nous nous en remettons à Dieu. 

Vous connaissez peut-être ces quelques lignes de Christian de Chergé (moine cistercien, « témoin de la foi » avec ses frères de Thibérine) ? Il sait si bien lire entre les lignes de cette rencontre… : 

« J’imagine assez bien, écrit-il, que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Christian de Chergé poursuit : Et il en est ainsi de notre Église qui porte en elle une Bonne Nouvelle – et notre Église c’est chacun de nous – et nous sommes venus un peu comme Marie, d’abord pour rendre service (finalement c’est sa première ambition)… mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour la dire… et nous savons que ceux que nous sommes venus rencontrer, ils sont un peu comme Élisabeth, ils sont porteurs eux aussi d’un message qui vient de Dieu et qui les fait vivre. (…) 

Et voici que, quand Marie arrive, c’est Élisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Marie a dit : as salam alaikum ! Et ça c’est une chose que nous pouvons faire : on dit la paix, la paix soit avec vous ! Et cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Élisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit qui était la Bonne Nouvelle (…) Vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que cela s’est passé cette affaire-là… 

Finalement, conclut-il, si nous sommes attentifs et si nous situons à ce niveau-là notre rencontre avec l’autre, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence et nous permettant d’élargir notre Eucharistie (…) La première Eucharistie de l’Église, c’était le Magnificat de Marie. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie… »

« Notre besoin de l’autre pour faire eucharistie… », c’est-à-dire pour témoigner de la grâce reçue, pour dire merci. Si ces mots de Christian de Chergé sont façonnés par son désir profond de rencontrer et de servir ses frères en humanité, il devrait en être de même pour nous. Car entre Marie et Elisabeth, comme au coeur de toutes nos rencontres du quotidien, est présent l’Esprit Saint. C’est lui qui fait naître des paroles uniques, des paroles de Bonne Nouvelle dont notre monde a tant besoin. A la suite de celles et ceux qui nous ont précédés, puissions-nous vivre également des visitations ; comme Marie, disons la paix et témoignons de la vie de Dieu qui tressaille en nos coeurs lorsque nous rencontrons nos frères et soeurs en humanité.
Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 14 août 2022, 18e dimanche Temps ordinaire (Lc 12, 49-53)  

Le Christ est venu apporter « un feu sur la terre ». Evidemment, en cette période où de grands incendies ravagent les forêts et les campagnes asséchées par le manque d’eau, ce sont des mots difficiles à entendre. D’autant que nous sommes plus habitués à voir et à écouter le Christ comme un pacificateur, un médiateur, un homme de paix et de dialogue et non pas comme un pyromane. Or aujourd’hui nous redécouvrons chez Luc qu’il est venu apporter la division. Waouh ! Est-ce bien de Jésus Christ, le Prince de la Paix, dont nous parlons ? Est-ce bien le même qui proclamait « bienheureux les doux et les artisans de paix », celui qui renoncera à appeler les armées célestes à son secours ? Difficile à croire. 

Alors interrogeons-nous : de quel feu nous parle Luc ? Pas celui qui brûle les forêts, qui détruit les maisons et tue les pompiers qui tentent de s’interposer, non. Mais celui qui est Esprit et Vie, celui qui est Amour et qui purifie nos cœurs. De quelle division s’agit-il ? Pas celle des guerres qui ravagent le monde, celles des violences et des disputes de notre quotidien, non. Mais celle qui tranche au milieu des faux-semblants, des mensonges et des malveillances dont nous sommes trop souvent les auteurs. Cette division est radicale, c’est un choix à faire et à assumer, comme les premiers disciples qui laissent tout derrière eux pour le suivre, lui, Jésus. Cette radicalité, c’est celle de l’Evangile, celle qui n’accepte pas de compromis. Suivre le Christ, si nous faisons ce choix-là, est radical. 

Et pourquoi alors le Christ évoque-t-il les divisions familiales ? Peut-être nous connaît-il si bien qu’il sait que, dans toute famille, il y a des différences : de caractères, d’âges, d’expériences ? Le fils n’est pas le père, la belle-fille n’est pas la belle-mère… Cela semble évident : le Christ nous invite à ne pas nous confondre, à conserver et à cultiver ce qui fait l’heureuse singularité de chacun. Heureuse division, heureuse distinction au sein des fratries et des générations car elle fait une place à chacun. Et n’oublions pas que l’origine du mot « diviser » vient du latin dividere c’est-à-dire « voir les choses autrement » ! Heureuse étymologie des mots… 

Le feu et la division : l’amour intense qui brûle en chacun de nous, et la liberté de trancher, d’oser voir les choses de manière singulière et de le suivre, lui, Jésus. Voilà ce dont il est question aujourd’hui. Alors oui, ce n’est pas facile, cela nous surprend, cela nous inquiète. C’est un défi pour chacune et pour chacun. Il ne peut pas en être autrement. Nous le savons déjà, et il nous faudra encore l’expérimenter, laisser l’amour de Dieu brûler en nous, laisser le Christ vivre en nous, cela demande des renoncements et des combats intérieurs qu’il nous faut perdre pour que lui l’emporte en nous. Parfois, nos proches ne comprendront pas tout, ou ils n’auraient pas fait les mêmes choix. Souvent, si nous avions suivi les logiques du monde, nous aurions fait autrement, choisi d’autres voies. Et c’est pourquoi il nous faut accepter le choc que produit l’Evangile. Oui, l’Evangile ne nous caresse pas dans le sens du poil : il nous fait du bien quand il vient gratter les convenances et râper les a priori pour aller plus loin, plus profondément. C’est là que les fondations seront solidement posées. 

Vous le savez sûrement, quand un forgeron, un métallurgiste cherche à épurer un morceau de métal brut, il le passe dans un creuset et le feu est alors son meilleur allier. Cette image, tous les grands maîtres spirituels vont la reprendre. C’est ce feu qui brûle en nous : celui qui est capable d’épurer nos vies pour en garder le meilleur, la pépite. Oui, chaque vie est une pépite en devenir, chaque vie est belle quand elle passe au creuset de l’amour de Dieu. Contrairement à Prométhée qui vole aux dieux leur feu jalousement gardé, le Christ, lui, offre aux hommes le feu et la division, ceux qui délient le mensonge pour la vérité, qui révèlent la fraternité universelle au milieu de nos peurs des autres, qui libèrent nos cœurs des entraves de l’indifférence envers les plus petits. Alors laissons faire le Christ.  

Guillaume Roudier 

Homélie – dimanche 7 août 2022, 19e dimanche du temps ordinaire (Lc 12, 35-40)

« Tout, tout de suite » : nous n’aimons pas attendre, mais vraiment pas ! Dès que nous attendons à la caisse, qu’il y a un retard dans une livraison, on râle ! Ou si la messe ne commence pas à l’heure, ou quand nous prions et demandons quelque chose à Dieu que nous n’obtenons pas… Et pourtant ‘attendre’ c’est un peu le thème de l’évangile que nous venons de lire. 

La Bible foisonne de récits où il s’agit d’attendre et de veiller. Par exemple ce passage où le père de l’enfant prodigue attend et espère le retour de son fils parti avec sa part d’héritage, ou le vieux Tobie qui attend son fils parti au loin rechercher un trésor, ou bien la veuve de Sarepta qui attend la mort imminente lorsqu’elle aura mangé le peu de farine qui lui reste, ou encore les dix vierges qui attendent dans la nuit l’arrivée de l’époux pour commencer la fête… Non sans lien, toutes ces attentes se terminent par un repas qui marque la joie d’un retour très attendu.

Mais aujourd’hui l’évangile nous invite à prendre la question autrement, dans l’autre sens : ce n’est pas à nous d’attendre, mais nous qui sommes attendus. Et il est bon de se le rappeler pour pouvoir se réjouir qu’un autre nous attende. Car c’est bien une béatitude que nous avons entendue : Heureux… heureux les serviteurs que le maître trouvera en tenue de service, ils verront le maître se faire lui-même le serviteur. 

Cette attente, cette veille, c’est une manière de lier notre temps présent au temps du Christ ressuscité ; de faire de notre aujourd’hui, l’aujourd’hui de Dieu. Oui, Jésus ne cesse de se rendre présent à notre monde, à chacun de nous, par son esprit. C’est autant inattendu qu’extraordinaire, et cela nous oblige à être vigilants au-delà de nos prières et de nos impatiences habituelles. Car ce ne seront peut-être pas la résolution de nos problèmes ni la réalisation de nos demandes que nous verrons s’accomplir, mais bien autre chose, quelque chose qui nous surprendra. Comme le maître qui en vient à surprendre ses serviteurs à son arrivée en pleine nuit, comme Jésus qui surprend ses disciples en voulant leur laver les pieds… Au-delà de nos attentes toutes humaines, c’est quelque chose d’autre qui se réalise ici et maintenant et pour laquelle il nous faut être dans une attente active : « c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »

Et quand il viendra, que trouvera-t-il ? La foi ? La lettre aux hébreux nous dit que : « La foi est une façon de posséder ce que l’on espère » (He 11, 1) Dans la grande histoire, dans l’histoire humaine, ils sont nombreux celles et ceux qui ont cru en la promesse de ce qui devait s’accomplir. Depuis Abraham et Sara, jusqu’aux disciples, la promesse de Dieu est déjà réalisée dans la mesure où nous croyons en elle. Autrement dit, ce que nous attendons de voir se réaliser un jour prochain est peut-être déjà en train de s’accomplir sous nos yeux aujourd’hui. 

Alors malgré tout ce qui nous embrouille la vue (la guerre, la crise écologique), comment mieux regarder le monde pour y discerner ce qu’on nomme « les signes des temps », c’est-à-dire tout ce qui est déjà à l’oeuvre dans le monde et qui peut être source de joie et d’espérance ? En vivant notre foi dans l’ordinaire des jours, comment contempler l’extraordinaire de Dieu ?  

La lettre aux hébreux poursuit : la foi est « un moyen de connaître les réalités qu’on ne voit pas. » Dans sa rencontre avec le Petit Prince, le renard révèle au petit garçon son secret : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Et il rajoute : « Les hommes ont oublié cette vérité. Mais toi, tu ne dois pas l’oublier. » Oui, au milieu de nos impatiences quotidiennes, n’oublions pas que c’est là, de manière invisible et inattendue, que le Maître, le Christ, nous donne rendez-vous : dans notre impatience devant nos enfants, dans notre impatience devant un collègue, un voisin… Et même dans cette parenthèse de l’été, au moment où on essaye de faire une pause dans nos activités, aucun de nous ne doit oublier cela : la foi, comme l’amour, est la conviction d’une présence bien réelle dans notre vie. Même l’été !

Guillaume Roudier

 

Homélie – dimanche de Pentecôte / Notre Dame de Fatima 

Souvenez-vous du début de la Bible, dans le livre de la Genèse : « Au commencement était le Verbe… et l’Esprit planait au-dessus des eaux… » Dans ce récit poétique, nous découvrons que Dieu façonne le monde selon sa Parole et par son Souffle créateur (πνευμα). En bon scientifique, Philippe nous dirait qu’il est peu probable qu’un scénario d’origine se soit déroulé exactement ainsi ! Il est néanmoins intéressant de noter que, déjà, les auteurs de ces récits de la Genèse aient cherché à dire ainsi quelque chose de ce Dieu qui fait alliance, c’est-à-dire qui, d’un tohu-bohu, peut faire advenir une chose nouvelle. 

Or, il est bien question de cela dans l’autre récit que nous avons lu, celui de la Pentecôte : de ceux qui étaient enfermés par peur d’être arrêtés, de ceux qui étaient déformés par leur angoisse, l’Esprit vient faire des hommes nouveaux, des témoins d’espérance, des messagers de paix, des bâtisseurs d’amour. 

Il en va de même pour nous aujourd’hui. Car si nous cheminons encore dans un clair-obscur sans toujours savoir ce qui se dessine à l’horizon, si nous avons des doutes sur l’avenir, nous sommes invités à nous laisser rencontrer par le souffle qui vient de Dieu. Aujourd’hui où nous fêtons Notre Dame de Fatima, il est bon de se rappeler que c’est bien Marie qui, la première, a su se laisser faire par le Souffle de vie selon ce que l’ange lui annonça : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre » (Lc 1). 

Dans l’histoire du peuple de Dieu, encore un autre récit, celui de Babel, illustrait notre tentation humaine à vouloir tout uniformiser, tout maîtriser, à nous élever par nos propres forces… Animés par l’Esprit de Dieu, en cette fête de la Pentecôte, c’est tout autre chose : nous choisissons la diversité, nous acceptons de devenir serviteurs de la Parole, et nous nous réjouissons de nous laisser faire par l’inattendu. Les marins le savent bien, le vent en mer peut venir de n’importe où : de face, de travers, de derrière. Dieu peut nous pousser, nous renverser, nous attirer. Le vent souffle où il veut… Ce qui est certain, c’est que nous avons à nous déplacer, à sortir de nos enfermements, à changer notre point de vue sur le monde comme les disciples sont eux-mêmes invités à proclamer les merveilles de Dieu. 

L’Esprit souffle comme un grand coup de vent, nous dit le texte. Oui, n’en doutons pas, l’Esprit nous dépoussière. L’Esprit fait le ménage dans notre vie pour que l’amour, et rien que l’amour, y demeure. Les apôtres ont été soufflés, leur peur et leur doute ont été chassés. Ils sont envoyés dans un élan bien grand, bien large. Après les années dans le désert pour le peuple sorti d’Egypte, après la nuit de Pâques pour les disciples, Pentecôte est l’ultime passage : celui de la peur à la joie, celui de l’entre-soi vers la multitude. C’est le temps de l’Eglise envoyée au monde, le temps des disciples-missionnaires. 

La grande chance de l’humanité aujourd’hui est de connaître l’immensité du monde dans sa diversité, un mélange incroyable de peuples, de cultures, de religions. Un peu à l’image de notre communauté de Saint-Fons ! Et c’est précisément là que nous sommes envoyés, à cette heure favorable. C’est bien là, dans ce qui fait notre quotidien, que l’Esprit nous envoie. Autrefois les missionnaires partaient en Asie, en Afrique ou en Amérique. Aujourd’hui, pour nous, le monde auquel nous sommes envoyés commence aux portes de notre église, dans nos quartiers avec nos voisins, au travail avec nos collègues, à l’école avec nos copains. Nous sommes envoyés pour rejoindre l’autre dans ce qu’il est, croyant ou non croyant, croyant autrement… 

La Pentecôte, c’est le temps de l’aventure missionnaire, le moment où nous sommes appelés pour témoigner. Témoigner, c’est-à-dire rendre compte de notre foi, de notre espérance et de l’amour de Dieu ; témoigner, c’est aussi se réjouir que l’Esprit soit à l’œuvre là où nous ne l’attendions pas et continue de nous surprendre. Alors, comme Notre Dame de Fatima, comme celle qui renouvelle sans cesse son « oui », comme celle qui ne cesse d’intercéder pour notre monde, trouvons un souffle nouveau et soyons, comme nous y invite le Pape François, « chacun à l’écoute des autres, et tous à l’écoute de l’Esprit Saint ».
Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 15 mai 2022 (5e dimanche de Pâques – Année C)   

Que faut-il retenir de la Parole de Dieu aujourd’hui ? Peut-être tout simplement que l’Evangile nous parle d’amour et nous invite à l’amour. L’évangéliste Jean situe cette scène au moment du dernier repas de Jésus avec ses disciples. Il va bientôt les quitter mais, avant de partir vers le Père, il leur laisse un message essentiel, un commandement nouveau : « comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres ». Rien de plus, rien de moins. En ces quelques mots toute la loi et toute la sagesse sont résumées. Il s’agit d’un amour qui concerne chaque homme, chaque femme, un amour fraternel et universel. C’est un signe nouveau pour le monde qu’un certain Charles, au coeur du désert algérien, a essayé de vivre jusqu’au bout, jusqu’à être nommé « le frère universel ». 

Oui, cet homme dont la vie est reconnue en ce jour à Rome comme une vie belle, une vie exemplaire, une vie qui porte témoignage au Christ, Charles de Foucauld, est dorénavant saint. Né dans la foi chrétienne, après avoir connu le doute et même l’incroyance, il revient au Seigneur et choisit de lui confier sa vie. Tout au long des années passées à la rencontre de celui dont il voulait se faire le prochain, il n’aura de cesse de s’interroger : « Et Jésus, qu’aurait-il fait à notre place ? » Sans aucun doute, Charles de Foucauld était disciple de Jésus-Christ. 

C’est un peu comme vous aujourd’hui, les enfants, qui allez recevoir en vos mains et en vos coeurs l’eucharistie, le signe de l’amour de Dieu. Ce don, il n’a de sens, il n’a de valeur que parce que nous le partageons avec d’autres. Ce pain que vous vous apprêtez à recevoir, et nous tous avec vous, est pain de vie, il est l’amour de Dieu qui se donne et se partage. 

Dans le passage que nous venons d’entendre, avec beaucoup de tendresse, Jésus nomme ses disciples « petits enfants ». Ce n’est sûrement pas anodin. Je pense qu’il nous faut apprendre à devenir comme vous les plus jeunes, des « petits enfants ». Vous, les enfants, vous savez que vous êtes redevables auprès de vos parents pour tout l’amour que vous recevez. Vous, les enfants, vous savez vous réjouir de l’instant reçu. C’est pourquoi, par cet appel, Jésus nous invite à retrouver cette humilité de l’enfant afin de pouvoir nous rapprocher de Dieu et aimer comme lui nous aime : simplement, entièrement.  

Autrement dit, vous les enfants qui allez communier pour la première fois dans quelques instants, vous êtes un exemple pour nous. D’habitude, ce sont les grands frères, les grandes soeurs, les parents qu’il faut prendre en exemple. Mais ce matin, pour une fois, c’est nous qui allons vous prendre en exemple. Aujourd’hui, nous tous, nous sommes invités à communier comme si c’était la première fois ! Ne tombons pas dans la routine dimanche après dimanche : la Parole de Dieu nous invitant à sa table doit être à chaque fois une nouveauté pour nous. 

Au cours de l’offertoire, nous allons dresser la table du repas, la table des noces, de la fête. Ce faisant, nous remettrons à Dieu nos joies et nos peines, notre confiance et nos doutes, tout ce qui fait notre vie. Nous pourrons alors nous laisser surprendre une fois de plus en voyant ce que, dans cet admirable échange, Dieu va finalement réaliser par le mystère de l’eucharistie. Oui, à partir de ce que nous sommes, de ce que nous portons en nous, Dieu peut faire naître quelque chose de nouveau pour nous, et pour le monde. 

Si nous voulons répondre à l’appel du Christ à le suivre, alors relevons ensemble le défi de ce commandement nouveau. Jeunes enfants et « jeunes depuis plus longtemps », acceptons de devenir ensemble des disciples-missionnaires, des aventuriers, témoins dans le monde de la joie de l’évangile. Chacune de nos vies renferme tant d’avenir possible… Choisissons de mêler nos pas à ceux de nos copains à l’école, de nos collègues, de nos voisins. Qu’ils partagent ou non la foi en Jésus, il nous faut les aimer. Et comme Saint Charles de Foucauld, nous aussi, nous pouvons faire le choix de « ne plus vivre que pour Dieu ».
P. Guillaume Roudier 

Homélie – dimanche 10 avril 2022 (Rameaux, année C) Lc 19, 28-40

Qui est-il ? Qui est cet homme qui entre dans la ville sainte de Jérusalem monté sur un petit âne ? Tous l’acclament en lui faisant un accueil digne d’un roi : les manteaux sont déposés par terre en guise de tapis d’honneur, les branches vertes de palmier sont agitées pour acclamer ce héros. Mais est-ce vraiment le roi qu’Israël attendait, le chef de guerre, le libérateur ? Un roi ne devrait-il pas plutôt monter un superbe étalon, accompagné de ses trophées de batailles ? Ce roi aurait-il remporté la victoire sans livrer bataille ? Aucun trésor pris à l’ennemi, aucun esclave. Nous ne trouvons ici que des cris de joie et d’espérance : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » 

Ce Jésus pourrait-il être finalement un imposteur ? Ce qui a été dit de lui jusqu’à présent, ce que la rumeur venant de Galilée prétend, tout cela est-il seulement vrai ? Les juifs attendent un glorieux libérateur, alors comment croire que cet homme monté sur une bête de somme pourrait les sauver ? Parmi ses disciples, certains disent qu’il est « le Prince de la paix ». Voilà de quoi surprendre et dérouter : celui qui amène le règne de Dieu avancerait si humblement, sur un ânon ? Après les acclamations, ce sont les doutes qui vont bientôt se faire entendre ici et là. 

Pourtant, Jésus de Nazareth, le Galiléen, n’a pas cessé de nous surprendre. Depuis sa naissance dans une étable (où déjà un simple âne veillait sur lui), au long de la trentaine d’années passées au travail au côté de Joseph, et maintenant sur cet ânon, Jésus se rend présent à son temps en embrassant la condition des plus petits : « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusque’à la mort, et la mort de la croix. » (Ph 2) Par ces mots, Saint Paul nous dit combien, par le Fils, Dieu s’abaisse, afin que, par lui, nous soyons élevés. 

Alors que la Semaine sainte commence, nous pouvons nous interroger : quel accueil allons-nous lui réserver dans notre existence tempétueuse ? Alors que nous sommes préoccupés par les aléas du monde, allons-nous le reconnaître et l’acclamer quand il viendra, ou bien le rejeter et le condamner ? Sommes-nous capables de discerner les signes des temps annonçant sa présence parmi nous alors même que les crises se succèdent, ou attendons-nous encore et encore un roi tel qu’il n’en existe pas dans le Royaume de Dieu ? Sommes-nous prêts à risquer notre foi et à y engager notre vie ? 

Ne l’oublions pas, Jésus va être trahi, livré aux insultes, abandonné par ceux qui se disaient ses compagnons, il va subir toute la haine et la violence humaine. Celles qui font mal, celles qui blessent, celles qui torturent et qui tuent, banalement, tous les jours. Connaissant tout l’amour et la compassion de Jésus pour celles et ceux qu’il croise, nous pourrions dire qu’il va partager jusqu’au bout la souffrance de toute femme battue, de tout homme torturé, de tout enfant abusé, de tout vieillard abandonné, de tout étranger rejeté… Comme eux, son visage sur la croix sera méconnaissable, défiguré par l’indifférence et le mépris. 

Or le Crucifié, ces jours-ci, est en Ukraine. Il est avec les jeunes qui meurent dans les combats, les civils qui fuient les bombardements et qui sont écrasés par les bombes, les femmes, les vieillards et les enfants qui ont peur et se cachent, les blessés dans les hôpitaux surchargés, les mères qui pleurent leur fils tué. Et c’est précisément là que le visage de Dieu nous appelle, c’est là qu’il doit nous interpeller et nous faire réagir. 

Au pied de la croix, le centurion ne s’y trompera pas. Il est saisi par ce visage d’homme qui donne à voir Dieu. Lui le païen, lui par qui Jésus est mis en croix va être saisi par ce geste ultime d’amour et d’abandon : « Celui-ci était réellement un homme juste. » Oui, la gloire de Jésus n’est pas dans un magnifique cheval ou dans les trophées de guerre, elle réside dans sa justice, dans sa solidarité avec les plus petits, dans son humilité et sa confiance qu’il remet finalement entre les mains du Père. 

Les temps présents sont difficiles, et nous ignorons ce que les mois à venir seront. Mais plus que jamais nous devons tourner notre regard vers ce passage à venir, vers la Pâque du Christ qui se dresse devant nous. Il nous ouvre à la vie en Dieu, la vie humaine qui s’accomplit dans une même solidarité, dans un destin commun. Désormais, ce sont les plus petits, tous les oubliés de ce monde qui nous interpellent et nous obligent à changer notre regard sur notre humanité, comme le centurion l’a fait. 

Il ne s’agit pas seulement de s’agiter et d’acclamer Jésus aujourd’hui avec nos rameaux mais, avec lui, jusqu’au bout, se faire frères et sœurs de la multitude. Le Bienheureux Charles de Foucauld dirait se faire « frère universel ». Madeleine Delbrêl dirait que dans les plus petits, « c’est Dieu qui vient nous aimer ». Et comment oublier ces mots du Concile Vatican II nous invitant à partager « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps » ? 

A l’image de ce temps et de notre humanité, la foule qui accueille Jésus aux portes de Jérusalem est nombreuse, plurielle et changeante, traversée par des questions, des doutes, des tensions et des contradictions. En ce jour d’élection, il en est de même pour nous : cela nous parle alors que nous hésitons à aller voter, à faire confiance, à croire encore qu’un monde plus fraternel est possible. Pourtant nous sommes bien appelés à y croire, et même à y participer. Aujourd’hui en allant voter pour celle ou celui qui nous  semble le plus à même de servir la fraternité et le bien commun. Demain, en allant travailler auprès de nos collègues, en allant s’engager dans des associations de solidarité… En tous cas Jésus, lui, hier comme aujourd’hui et comme demain, accepte de se tenir là, présent humblement parmi nous. Solidaire de notre humanité, il accepte de se laisser tout entier traverser, transpercer par elle, de part en part. 

Nous l’avons entendu, à la veille de cette grande semaine, Jésus entre dans sa passion. Et si certains le dévisagent déjà lors de son entrée à Jérusalem, lui, au contraire, n’a de cesse d’envisager pour nous, tous, un horizon de paix. Voilà qui il est, voilà qui est cet homme monté sur un ânon qui s’abaisse pour que nous soyons, par lui, élevés. Acclamons-le : Hosanna !
Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 27 mars 2022 (4e dim Carême, année C)

Lc 15, 1-3. 11–32

Ce matin nous entendons la parabole du « fils prodigue » (ou plutôt celle du père). C’est la troisième de ce chapitre de Luc, trois histoires au cours desquelles il nous est rappelé quelque chose d’essentiel… Souvenez-vous, la première parabole, celle de la brebis égarée, perdue : cela semble évident, mais quel berger n’a pas le souci de toutes ses brebis ? Quel pasteur va dire : « ce n’est pas grave, il m’en reste encore ! » En tous cas, pas Dieu. Dieu a le souci de chacun, sans distinction d’aucune sorte. Bien plus, lorsqu’il nous prend sur ses épaules pour nous ramener, nous sommes le motif d’une grande joie pour lui, une joie qui se communique : « Réjouissez-vous avec moi ! » La deuxième parabole, celle de la pièce retrouvée par une femme, porte le même sens. Sûrement, Luc cherche-t-il à enfoncer le clou pour nous lecteurs qui avons parfois du mal à comprendre les choses les plus évidentes. En tous cas, là encore, il y a une joie qui se partage. 

Cependant, à y regarder de près, ni la brebis ni la pièce ne reviennent d’elles-mêmes. L’une et l’autre sont là, sans rien faire. Où est la conversion de la brebis ou celle de la pièce ? Et nous voilà au récit d’aujourd’hui, celui du fils qui s’était éloigné de son père. Un fils qui cherche à devenir aussi grand que son père, qui s’égare, et qui va vivre un retournement intérieur. C’est un peu comme le troisième acte de ce passage d’évangile. Après avoir voulu vivre par lui-même et pour lui-même, sans avoir fait fructifier les biens qu’il avait reçus, ce jeune homme s’en retourne dans les bras de son père. Ce fils cadet qui voulait sa part de fortune pour vivre tel qu’il l’entendait, se trouve dans le besoin, dans le besoin d’autre chose. Alors il y a ce moment de bascule dans le texte, ce pivot où tout se joue : « il entra en lui-même… » Celui qui s’était égaré se convertit à la vérité, il se souvient de la bonté et de la générosité du père pour ses simples ouvriers, il reprend confiance et sait qu’il peut retourner vers lui, malgré son humiliation ; il vit un retournement, une véritable conversion intérieure. 

Le père de ce jeune homme semble l’attendre. C’est comme si Dieu passait son éternité à nous attendre, patiemment. Et là, la joie et l’amour du père surabondent à l’humiliation du fils. Son empressement à le retrouver est plus vif que les pas du pénitent. Nous imaginons assez bien ces retrouvailles et cette embrassade : le fils perdu est retrouvé, celui qui était mort est revenu à la vie. Mais la parabole ne s’achève pas dans les bras du père. Il y a le frère, l’autre, celui qui, étant resté auprès du père, ne comprend pas et n’arrive pas à se réjouir. Il y a cette jalousie toute humaine. 

En effet, il ne s’agit pas de méditer uniquement sur la conversion du fils qui revient, il s’agit aussi de nous interroger : nous, comment aurions-nous réagi ? Quel frère, quelle sœur serions-nous pour cet homme blessé et brisé ? Car des personnes fatiguées, éprouvées par la vie, nous en connaissons tous ; il ne faut pas aller les chercher très loin, ils sont à notre porte, dans nos familles, dans notre entourage au travail, à nos frontières. Le frère aîné, celui qui se croit « du bon côté », a visiblement bien du mal à se réjouir avec son père. Bien plus, il ne reconnaît pas cet homme qui vient. Il dira « ton fils que voilà » et non « mon frère ». Mais le père ne renonce pas à lui, il va à sa rencontre, aussi, et il attend de lui qu’il partage sa joie et qu’il ose dire à sa suite : « mon frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie. »

Certes, nous reconnaissons facilement la dignité de fils et de filles de Dieu à chaque membre de notre commune humanité. Mais sommes-nous capables de reconnaître dans les plus petits, les plus blessés, celles et ceux apparemment différents de nous, des frères et des soeurs ? Dans cette parabole, nous rencontrons deux frères. Ce n’est pas la première fois que l’Ecriture nous peint cette humanité-là : Caïn et Abel, Jacob et Esaü… Comme si se jouaient sans cesse ces mêmes luttes dans notre fraternité humaine. Et puis, nous pourrions rajouter encore l’Ukraine et la Russie. 

Nous l’avons dit, le père – Dieu – est dans la joie de retrouver celui qui était perdu, égaré. Celui qui revient vers lui. Mais sommes-nous capables de participer à sa joie et d’aimer à notre tour, comme lui ? Sommes-nous capables d’oser dire véritablement : « tu es mon frère, tu es ma sœur » ? C’est un appel à l’existence, sans préjuger de notre prochain, sans juger de sa vie et de ses choix. Autant Dieu est patient et nous guette sur notre chemin vers lui, autant Dieu est impatient de partager, avec nous, tous, sa joie. 

Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 6 mars 2022, 1e dimanche de Carême (Lc 4, 1-13b)

Chaque année, le premier dimanche de Carême, nous lisons le récit des Tentations chez l’un des trois évangélistes synoptiques (Marc, Matthieu ou Luc). Cette année, nous le lisons dans Luc, c’est-à-dire dans une version où la présence de l’Esprit est mise en avant, liant ainsi explicitement cet épisode à celui qui le précède (le baptême de Jésus – où une voix venue du ciel a dit : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. ») et à celui qui viendra au terme de sa route (au moment de la Passion). Du début jusqu’à la fin, Jésus ne renonce à rien, dans son humanité il s’affronte aux mêmes tentations que tout homme : ne compter que sur soi, se croire meilleur que les autres ou encore mettre la main sur l’autre et ce qu’il possède. Alors qu’avec les crises successives nous pourrions à tout moment basculer dans la désespérance, ce passage de l’Evangile nous invite aujourd’hui à la confiance et à l’espérance. 

Jésus, après avoir vécu durant quarante jours à travers le désert, eut faim. Quarante jours, ce n’est pas sans rappeler les quarante années que le peuple hébreu vécut lui-même au désert et au cours desquelles il subit la tentation de remplacer Dieu par des idoles (Ex). Comme si, dans notre humanité, quelque chose se vivait à répétition, comme si nous avions tendance à répéter les mêmes erreurs. Ces derniers jours tendent à le confirmer : l’homme ne peut-il pas s’empêcher de faire la guerre ? Et nous pourrions citer, encore plus loin dans les Ecritures, un autre épisode symbolique. En effet, en subissant les attaques et les provocations du diable (celui qui sépare, qui divise), c’est comme si quelque chose de l’épisode bien connu du péché originel était en train de se rejouer pour Jésus (Gn). L’Homme fut tenté de se détourner de Dieu, désormais le Fils est tenté de se détourner du Père. 

Seulement voilà, Jésus, lui, sort victorieux de cette confrontation. Lui, le nouvel Adam, déjoue les pièges qui lui sont tendus : il n’est pas attiré par le pouvoir, il ne cherche pas à se mettre en avant, et il n’oublie pas le lien qui l’unit au Père. Malgré son humanité, alors qu’il expérimente dans sa chair la faim et qu’il fait face à sa fragilité et à ses faiblesses, il maintient son regard vers Dieu. Ce faisant, il signifie que notre humanité est « capable de Dieu » même dans l’épreuve, il nous redit que le chemin vers le Royaume de Dieu nous est praticable malgré les chaos et les dangers. Pourtant ils sont nombreux aujourd’hui, les hommes et les femmes, les enfants et les anciens, à exprimer leur fatigue, leur faim et leur désespoir. Ils sont nombreux parmi nous, parmi nos proches, nos collègues, parmi les réfugiés en exil ou les peuples en exode. Ils sont nombreux à être fatigués de vivre et à ne plus croire en rien. Ils sont nombreux à traverser des déserts arides, à se confronter à l’aridité des coeurs humains endurcis. 

En se confrontant aux tentations humaines, en affrontant ce qui peut diviser notre humanité, Jésus nous montre que nous pouvons choisir de combattre ce qui, en nous, nous détourne de notre communauté de destin et de la pleine communion en Dieu. Il nous laisse entrevoir qu’il n’y a pas de fatalité en notre monde ; il nous offre de poser notre regard sur un horizon nouveau. Faut-il, comme le dit Saint Paul (Ga), « se laisser conduire par l’Esprit ». 

La Genèse, l’Exode, mais il est fait aussi explicitement mention du livre du Deutéronome. A trois reprises, Jésus répond en effet à la tentation en le citant (« L’homme ne vit pas seulement de pain » (Dt 8, 3), « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte » (Dt 6, 13), « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » (Dt 6, 16)). Ainsi, Jésus s’inscrit totalement dans les Écritures, il se les approprie, il les parle, il les accomplit. Mais il ne suffit pas de connaître et de citer les Écritures, car le diable le fait également (« Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder », « ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre » (Ps 91, 11-12)). On le voit, le mal se cache parfois sous l’apparence du bien. Seul le Fils est vérité et chemin, lui la Parole, le Verbe de Dieu. 

Conduits par l’Esprit, suivant le chemin du Fils, nous pouvons entamer notre marche vers Pâques en confiance et dans l’espérance. Tout au long des jours à venir, nous pourrons redécouvrir la relation unique de Dieu Trinité – Père-Fils-Esprit – dans laquelle nous sommes invités. Enfin, en communion avec nos frères orthodoxes, et tout particulièrement ceux d’Ukraine, je partage avec vous cette prière du Patriarche Athénagoras qui me semble de circonstance : 

« La guerre la plus dure, c’est la guerre contre soi-même. 

Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.

Mais maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur.

Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres.

Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.

J’accueille et je partage. 

Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets.

Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non pas meilleurs,

mais bons, j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif.

Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.

C’est pourquoi je n’ai plus peur.

Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.

Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre

au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors,

Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible. » 

 P. Guillaume Roudier 

Homélie – dimanche 20 février 2022, 7e dim. temps ordinaire (Lc 6, 27-38)

Une fois de plus, les mots de Jésus nous déstabilisent. Ils renversent nos logiques humaines, nos lois et nos habitudes. La parole qui vient du Fils remet en question notre manière de penser, de penser en rond, c’est-à-dire selon soi et pour soi. Nous pourrions dire, d’une certaine manière, que l’Evangile nous ferait perdre la raison ! Mais, ce faisant, sa parole fait entrer dans notre vie l’autre, le frère, la soeur, celui qui est différent, celle qui ne pense pas comme moi, qui ne s’habille pas comme moi, qui ne croit pas comme moi, ceux qui seraient difficiles à aimer et à pardonner si nous nous y aventurions seuls. Hier, comme aujourd’hui, le Christ nous invite à le suivre, à changer notre manière de penser et d’agir. 

Nous le découvrons déjà dans le livre de Samuel, alors que David, poursuivi par Saül, refuse de rendre la violence dont il est victime, nous devons nous désarmer de nous-mêmes pour entrer dans la miséricorde de Dieu. Celle-là même dont il fait preuve à notre égard, que cela soit au début de chaque célébration comme au début de chaque jour : sa miséricorde est infinie car « il sait de quoi nous sommes pétris ». L’amour de Dieu ne se lasse jamais de nous aimer et nous sommes appelés à faire de même envers notre prochain. 

Oui, si nous y regardons de près, il nous est bien proposé de devenir « comme Dieu », d’être miséricordieux comme lui est miséricordieux. Rien de moins ! Autrement dit, avec le Fils, le chemin de notre humanité passe par la ressemblance au Père. Il nous faut donc briser le miroir que nous contemplons trop souvent et qui ne reflète rien sinon nous-mêmes. A travers ce miroir, nous n’aimons que ceux qui nous aiment, prêtons qu’à ceux qui nous rendent… Il nous faut le briser afin de libérer notre regard et le porter plus loin, sur notre belle et vaste humanité. 

Prenons le visage de cet homme, Jésus, et cherchons à lui ressembler. Au-delà de nos craintes et de nos peurs, au-delà de nos limites apparentes, laissons-le faire, laissons-le opérer en nous ce relooking ! Laissons-le habiter en notre vie. Alors, chemin faisant, avec le Christ, nos yeux ne seront plus obnubilés par nous-mêmes mais se porteront avec amour et miséricorde sur le monde. Faire miséricorde, selon l’étymologie du terme, c’est accorder de la place en son coeur à ceux qui sont dans la misère, c’est avoir pour autrui de la compassion. Et ils sont nombreux les pauvres, les malades, les étrangers qui aujourd’hui attendent encore que nous leur réservions une place dans notre coeur. Dieu, lui, leur a déjà réservé la meilleure. 

Nous pourrions, aussi, faire miséricorde à ceux qui nous ont déçus, à ceux qui nous ont fait du tort, à ceux envers lesquels, depuis longtemps, nous avons de la rancoeur, ce voisin qui fait du bruit le soir, ce collègue qui nous agace au boulot, ce paroissien assis non loin de moi… Si nous choisissons de répondre à l’appel du Christ, si nous choisissons de le suivre, alors aimons nos ennemis, ne répondons pas à la violence par la violence, donnons plus qu’il ne nous a été demandé et n’attendons rien en retour. Laissons nos savoirs, nos logiques et nos évidences de côté. Ne jugeons pas, ne condamnons pas, mais pardonnons, allons par-delà le don jusqu’à Celui qui est amour sans calcul. Faisons le bien si nous voulons que ce qui est beau et bon aux yeux de Dieu advienne ici et maintenant. 

La parole de Jésus brise le miroir de nos satisfactions et de nos égoïsmes. Elle nous sort de ce que nous croyons être lorsque nous nous en tenons au jeu des relations symétriques entre semblables. La parole de Jésus nous libère des conventions sociales autant que des réseaux sociaux numériques qui, trop souvent, nous font voir le monde à notre ressemblance. 

Alors oui, l’Evangile nous fait perdre la raison, il nous fait perdre le sens commun matérialiste, il nous détourne du chacun pour soi, du donnant-donnant, etc. Aimer comme Dieu nous aime, cela révèle un bien plus vaste horizon pour notre vie. Chaque jour, en toute saison, quelles que soient nos limites, Dieu nous invite à le rejoindre dans son amour déraisonnable. Je finirai par quelques mots du poète Aragon que Jean Ferrat reprit et que je fais miens en quelque sorte… : 

Aimer à perdre la raison

Aimer à n’en savoir que dire [sinon les mots de ton Evangile]

À n’avoir que toi [Seigneur] d’horizon

Et ne connaître de saison

Que par la douleur de partir [et de laisser là mon miroir]

Aimer à perdre la raison. 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 30 janvier 2022, 4e dim. temps ordinaire (Lc 4, 21-30)

Nous poursuivions la lecture du quatrième chapitre de Luc et nous entendons à nouveau ces mots faisant le lien avec l’évangile de dimanche dernier : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Oui, après avoir lu le livre d’Isaïe où est annoncée la Bonne Nouvelle, la libération aux captifs, la vue aux aveugles et la liberté aux opprimés, Jésus déclare que c’est aujourd’hui que cette parole s’accomplit. Mais, visiblement, pas comme son auditoire l’attendait. Et à l’admiration succède rapidement la colère et la violence. Comment, lui, le fils de Joseph le charpentier, comment peut-il annoncer avec autorité que c’est ici et maintenant que l’Ecriture s’accomplit, mais s’accomplit pour d’autres, et en plus des étrangers, des non juifs ? Quelle audace !
Ceux réunis à la synagogue semblent en effet bien sourds à ses propos prophétiques. Déjà, en leur temps, Elie et Elisée n’ont pas été entendus. Ecoutés, oui, attentivement même, mais pas entendus, pas avec le coeur. Pourquoi, s’il se dit le messie, n’est-il pas là pour les délivrer, eux, les fidèles du peuple juif ? Ne vont-ils pas toucher leur récompense ? Les portes du Royaume ne vont-elles pas s’ouvrir pour eux ? Ne sont-ils pas méritants dans leurs pratiques ? S’il est celui qu’il prétend être, n’est-il pas là pour leur donner la meilleure place, à eux ses voisins et amis d’enfance ? Alors que ces hommes disent admirer Jésus « dans les paroles de grâce qui sortent de sa bouche », tous tentent en réalité de s’accaparer sa parole pour eux-mêmes. Or c’est tout autre chose que Jésus est venu annoncer. Il nous faut prêter attention à ce décalage que Luc présente entre les attentes des nazaréens et ce que Jésus vient réellement annoncer.
Depuis l’Alliance nouée avec Abraham et Moïse, nous devrions nous rappeler que l’amour de Dieu ne nous met pas à part. Depuis l’élection d’Israël, si Dieu en choisit quelques-uns, ce n’est pas pour les préserver ou leur donner une plus belle récompense. Non, il s’agit d’en choisir quelques-uns pour les mettre en route au service de tous. Pas de gloire, pas de fierté ni d’arrogance en cela, pas de récompense à attendre, uniquement le service du frère. Et c’est parce que Jésus connaît bien la pensée des hommes qui le reçoivent à Nazareth – et peut-être encore les nôtres aujourd’hui – qu’il sait la nécessité de leur rappeler – de nous rappeler – à qui est destinée la Bonne Nouvelle, et en quoi consiste l’élection du peuple appelé à la servir.
Eux, comme nous, trop souvent nous nous approprions la Parole en oubliant qu’elle nous est donnée, trop souvent nous avons l’habitude de mettre la main sur Jésus en oubliant que c’est lui qui se donne librement, pour tous. Ne cédons pas à la tentation d’essayer de mettre la main sur Jésus, ne nous mettons pas du côté de ceux qui disent le connaître véritablement, lui le fils de Joseph. Il passe au milieu de ceux qui cherchent à le retenir et poursuit son chemin. Il est au-delà de tout, il est le Fils de Dieu qui se donne à chacun, et à toute notre humanité.
Les prophètes comme Jérémie nous le rappellent : il s’agit de recevoir le don et à notre tour de donner. Il s’agit d’ouvrir nos mains pour recevoir et pour servir Celui qui se donne pour les nations. « Pour nous et la multitude » entendrons-nous une fois de plus dans la prière eucharistique. Mais qui d’entre nous ne s’est jamais arrêté à « pour nous » en oubliant « la multitude » ? Encore une fois, ne pensons pas que notre foi nous met à part, car l’amour de Dieu n’a de sens que si nous le recevons pour le partager. Ne mettons donc pas la main sur Jésus : il ne nous appartient pas. Sa Parole et son Esprit sont à l’oeuvre dans le monde au-delà de la communauté des croyants.
En évoquant la longue tradition des prophètes, Jésus à la synagogue nous rappelle que Dieu est fidèle, qu’il ne cesse de faire miséricorde et d’appeler au service des hommes (et des femmes), des prophètes, des apôtres, afin de porter son message pour leurs frères en humanité. Parmi eux, en premier, celles et ceux qui souffrent et sont accablés. Comme la veuve de Sarepta au pays de Sidon, comme Naaman le Syrien. Les malheurs les accablent : affamés par les épreuves de la vie, isolés par la maladie, oubliés parce que étrangers, méprisés parce que différents. C’est vers eux que Jésus marche, en passant au milieu de ceux qui voulaient le posséder et le retenir. En Jésus, Dieu se donne pour être découvert, pour être partagé avec les plus petits, celles et ceux qui meurent de faim, qui sont malades, étrangers, tous ceux que nous ne voyons pas, que nous ne voyons plus, et dont nous n’entendons pas les cris. Dès lors, il ne s’agit plus de prétendre connaître Jésus comme un familier, de le connaître « par coeur », mais d’oser chercher à le connaître « avec le coeur ».
C’est cela le véritable amour dont parle Saint Paul : un amour qui se donne, un amour qui prend patience, un amour qui rend service, un amour qui ne jalouse pas, qui ne se vante pas. Un amour qui fait confiance en tout, qui espère tout. Un amour qui ne passera jamais. Cet amour nous ne le possédons pas, c’est lui qui se donne. Et notre monde a besoin de cet amour alors que tant de tensions, de haines, de mépris désespèrent nos contemporains.
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » C’est donc aujourd’hui que nous nous sommes invités à vivre notre baptême là où nous habitons, là où nous travaillons, là où nous sommes engagés. A la suite de Jésus, comme disciples-missionnaires, c’est une invitation à marcher ensemble pour bâtir l’Eglise de demain et entrer de plein pied dans la démarche synodale souhaitée par le pape François. C’est le temps de l’Evangile, le temps de l’espérance. Comme les apôtres partis aux périphéries du monde, consentons à enraciner nos vies dans sa Parole. Aujourd’hui, l’heure est favorable pour aller et servir. Aujourd’hui, l’heure est favorable pour ne pas mettre la main sur le Christ, mais pour le laisser passer en nous afin que son Esprit nous donne l’audace d’aimer. Aujourd’hui n’est pas un jour ordinaire, c’est « l’aujourd’hui de Dieu ».

P. Guillaume Roudier

Homélie vendredi 24 décembre 2021 – Nativité du Seigneur (Lc 2,1-14)

Une fois de plus, Noël a une saveur particulière en cette fin d’année. Alors que la crise est toujours là, qu’elle nous touche, qu’elle nous angoisse, comment ne pas sombrer dans le découragement ? Ce soir, ayons une pensée pour ceux qui sont empêchés de se réunir à cause de la Covid, pour ceux qui sont isolés, malades, détenus. Et ce soir, laissons-nous surprendre par ce récit qui nous semble pourtant si familier. 

En effet, ce que nous venons d’entendre ne doit cesser de nous émerveiller. Souvenez-vous, au début de ce récit : « En ces jours-là parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie ». Cette histoire ne commence pas par « il était une fois ». Luc ne nous raconte pas un conte merveilleux pour nous endormir… Non, l’évangéliste nous rapporte ce qui s’est réellement passé sur la terre des hommes, en un temps, en un lieu : il y a de 2 000 ans, en Palestine. Et c’est cela qui, ce soir, nous rassemble et doit nous réjouir : la nuit de Noël est unique. C’est la nuit où le temps des hommes et le temps de Dieu se mêlent dans une même histoire, définitivement liés. Ce n’est pas une histoire pour nous endormir, c’est un récit pour nous éveiller ! 

« Un enfant nous est donné ». Par ces mots le prophète Isaïe annonçait déjà la venue du Sauveur. Puis nous étions dans l’attente et nous avons vécu l’Avent portant notre regard vers cette sainte nuit. Désormais, nous avons à nous réjouir car la lumière et la paix sont venues à nous et elles ont maintenant un visage : celui d’un enfant, l’Emmanuel c’est-à-dire « Dieu avec nous », Dieu dans notre histoire. Etonnement, Dieu choisit ce qu’il y a de plus petit, de plus fragile en notre humanité pour venir nous rencontrer et se révéler : un enfant. Le Pape François le disait ces jours-ci à ses collaborateurs à Rome : « L’humilité a été sa porte d’entrée et il nous invite à la franchir à notre tour.» Autrement dit, nous sommes invités à être attentifs, à demeurer des veilleurs à l’écoute, soucieux du dialogue, acceptant de renoncer et, surtout, de faire confiance. Je crois que notre Eglise qui est entrée dans le temps d’un grand synode en a également bien besoin…  Oui, après tant de douloureuses révélations, après tant de mal commis, que notre Eglise soit humble et attentive aux cris du monde. 

« Un enfant nous est donné ». Les parents (les grands-parents) le savent bien, ils savent reconnaître dans les yeux des enfants le signe d’un avenir donné, le visage de l’espérance. Oui par son Fils, Dieu nous sauve du non-sens et nous fait le don de l’espérance. Il fait ce don à tous les hommes, sans exception. Bien sûr, petits et grands, nous aimons entendre de belles histoires pour nous faire rêver et nous faire voyager dans des pays imaginaires, dans d’autres galaxies lointaines, là où les virus n’existeraient pas… Mais l’enfant de la crèche que nous célébrons en cette nuit de Noël nous le rappelle : si notre monde n’est pas exempt du  doute et du désespoir, c’est en son coeur qu’une lumière est venue. C’est là que Dieu est venu, c’est ici et maintenant qu’Il vient encore, présent parmi nous. 

Certes, la COVID est encore là et avec elle les crises sanitaires, sociales, familiales et économiques.  Et comment ne pas évoquer aussi la crise migratoire, la crise écologique… L’année qui se termine aura eu raison de nos espoirs de voir s’achever cette période difficile. Alors comment vivre la joie et l’espérance de Noël dans un pareil contexte ? Après tant de deuils, tant de précarités qui se creusent toujours plus, tant de conflits mondiaux encore irrésolus, où trouver la joie de Noël ? Peut-être tout simplement en ayant redécouvert ce qui est essentiel, dans le sourire d’un enfant, dans des yeux qui sourient au-dessus des masques, dans ces milliers de soignants et de bénévoles qui continuent d’y croire et d’être mobilisés chaque jour en soutien aux plus touchés ? Peut-être en rendant témoignage à la solidarité qui, elle aussi, est toujours là et ne cesse de se renouveler, d’inventer. Comme Jésus, ces femmes et ces hommes nous montrent que l’amour des autres nous pousse à aller plus loin que la peur en traversant nos doutes et en regardant au-delà de nos angoisses.  

En cette nuit de Noël, Dieu naît, pauvre et nu, vulnérable, dans une mangeoire à Bethléem. Au cours de sa vie, Jésus nous émerveille sans cesse par sa capacité à rencontrer l’autre, à partager avec lui, sans tabou, sans a priori : les Pharisiens, les pêcheurs, la Samaritaine, le légionnaire romain, etc. Ce souci de l’autre et cette nécessité du partage sont inscrits au cœur de notre foi. Alors, même si toutes les portes ont été fermées en cette nuit de Galilée, même si Joseph et Marie n’ont pas su où s’abriter, nous, nous pouvons tout faire aujourd’hui pour ouvrir nos portes et nos cœurs à ces hommes et à ces femmes que Dieu nous donne chaque jour à aimer. Et en premier lieu les plus petits, les plus fragiles, ceux qui, comme cet enfant dans la mangeoire, sont « sur la paille ». Ce sont eux à qui les anges annoncent la Bonne Nouvelle en premiers, les bergers de l’Evangile : les sans-nom, les sans-toit, les sans-papiers, les sans-emploi… Ce sont eux, qui, comme Joseph et Marie, se retrouvent devant des portes closes. Alors ouvrons nos coeurs, faisons-leur de la place, car voilà l’occasion de nous réjouir ensemble, de partager la bonne nouvelle de Noël, voilà l’occasion de vivre de cet amour qui n’a de valeur que s’il se partage. 

L’événement de Noël n’efface rien de la difficulté de notre vie quotidienne, ni de la complexité du monde. Nous le savons bien, de nombreux sujets divisent. L’année à venir, nous aurons à nous mobiliser encore pour la paix et la justice alors même que le dialogue est déjà difficile au sein des familles et autour de nous. Mais nous avons le devoir de vivre notre diversité dans l’unité. Jésus est justement venu pour réunir l’humanité entière en lui, dans une unité qui respecte notre belle diversité humaine, et en faisant de la place à chacun. Jésus, en venant au monde, apporte la paix de Dieu et la justice pour ceux qui souffrent de la haine et du mépris. Alors soyons plus attentifs à la manière dont Dieu entre en relation avec nous pour nous appeler à ses côtés, à l’amour, à l’espérance et à la charité.

Encore une fois, ceci n’est pas simplement une « belle histoire » que nous entendons ce soir, c’est l’histoire de chacun d’entre nous à laquelle Dieu vient se mêler ; c’est l’histoire de toute notre humanité. Dieu partage aujourd’hui nos vies et, ce faisant, il nous fait porteurs d’espérance, créateurs d’avenir et bâtisseurs d’une Terre plus belle où tous les hommes sont appelés à vivre dignement en frères et soeurs. Là est la véritable joie de Noël. Alors, en cette sainte nuit, comme les bergers, osons à notre tour devenir des porteurs de la Bonne Nouvelle, des porteurs d’espérance. Avec Jésus, osons croire en ce qui vient, osons vivre aujourd’hui, et chaque jour de l’année à venir, la joie de l’Evangile. Oui, depuis cette nuit de Palestine, tout a changé : un enfant nous est né. Joyeux Noël à tous, joyeux Noël à notre monde !  

P. Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 19 décembre 2021, 4e dimanche de L’Avent (Lc 1, 39-45)  

Le passage de l’Evangile que nous venons d’entendre est bien connu, c’est celui de la Visitation. Plus qu’une simple visite d’un femme enceinte à une autre femme enceinte pour s’échanger des conseils ou s’apporter mutuellement du soutien, il s’agit d’une visitation. C’est-à-dire la rencontre de deux réalités, de deux histoires, celle de Marie et celle d’Elisabeth, oui, mais surtout la rencontre de notre humanité avec Dieu. L’épisode de la Visitation, c’est l’annonce de la réalisation de la Bonne Nouvelle : notre vie quotidienne apparement ordinaire qui, à Noël, se révèle extraordinaire puisque Dieu a choisi de mettre en joie toute notre humanité. 

Avant d’entendre le témoignage d’un membre de notre assemblée, je vous partage quelques mots de Christian de Chergé. Vous le connaissez : moine cistercien, il vécut en Algérie à Tibhirine et fut, avec ses frères, appelés « témoins de la foi » pour leur vie donnée jusqu’au bout pour l’Evangile. Lors d’une retraite qu’il prêchait à des soeurs au Maroc en 1990 il disait : 

« Il est tout à fait évident que ce mystère de la Visitation, nous devons le privilégier dans l’Église qui est nôtre. J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? (…) Et il en est ainsi de notre Église qui porte en elle une Bonne Nouvelle – et notre Église c’est chacun de nous – et nous sommes venus un peu comme Marie, d’abord pour rendre service (finalement c’est sa première ambition)… mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour la dire… et nous savons que ceux que nous sommes venus rencontrer, ils sont un peu comme Élisabeth, ils sont porteurs eux aussi d’un message qui vient de Dieu et qui les fait vivre. (…) Et voici que, quand Marie arrive, c’est Élisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Marie a dit : as salam alaikum ! Et ça c’est une chose que nous pouvons faire : on dit la paix, la paix soit avec vous ! Et cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Élisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la Bonne Nouvelle, mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que l’enfant qui est en moi a tressailli ? Et vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que cela s’est passé cette affaire-là… Et Élisabeth a libéré le Magnificat de Marie. Et finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons à ce niveau-là notre rencontre avec l’autre, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence et nous permettant d’élargir notre Eucharistie,  car finalement, le Magnificat que nous pouvons, qu’il nous est donné, de chanter : c’est l’Eucharistie. La première Eucharistie de l’Église, c’était le Magnificat de Marie. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie : pour vous et pour la multitude… »

Pour cela, comme Christian de Chergé et ses frères en terre d’Islam, comme Marie, il faut se mettre en route. Où que nous vivions, quelque soit notre travail ou nos engagements, notre âge, il nous faut nous mettre en route pour vivre l’extraordinaire rencontre du Seigneur dans l’ordinaire des jours.  

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 21 novembre 2021, 34e dimanche (Jn 18, 33-37)

Le passage de l’Evangile aujourd’hui en la fête du Christ-Roi pourrait facilement se mettre en scène : Jésus comparaît au tribunal devant Pilate, procurateur romain qui cherche à établir les faits reprochés à ce « roi des juifs ». Ce dernier commence justement par lui poser la question : « Es-tu le roi des Juifs ? ». C’est étonnant, car nous pouvons penser que s’il y avait un roi en Judée, Pilate, qui représente l’autorité romaine, ne pourrait pas l’ignorer. 

Evidemment, par cette rencontre, l’évangéliste Jean souhaite évoquer une toute autre royauté pour Jésus. Et cette royauté est si particulière que Jésus ne s’en vante pas, ne la revendique pas. Si bien qu’aux questions de Pilate, Jésus va répondre à côté ou par d’autres questions comme il sait le faire. S’il ne semble pas prêter attention au contenu de la question, c’est qu’il se préoccupe davantage de celui qui la pose. Jésus cherche à déplacer l’échange, il cherche à établir un dialogue là où il n’y avait que de la confrontation. 

Ce faisant, il ne récuse pas qu’il occupe une position singulière : il est bien roi, mais cette royauté ne relève pas de ce que Pilate connaît. D’ailleurs, nous sommes tous renvoyés à cette question :  Pour nous, qui est-il ce roi ? Qui est-il ce roi né dans une mangeoire, fils de charpentier, qui rentre à Jérusalem sur un âne, partageant du pain et du vin, et qui, finalement, porte une couronne d’épines ? Sa royauté n’a visiblement rien à voir avec celle des royaumes du passé ni même avec les états les plus modernes. Car la royauté dont parle Pilate, le pouvoir tel que les hommes en usent et ont tendance à en abuser, implique trop souvent de soumettre l’autre, de défendre ce qu’on croit posséder, et de conquérir au détriment des plus petits… 

Evidemment, les juifs attendaient un roi chef de guerre, un roi capable de les libérer des romains. Mais le Christ, n’est pas venu pour prendre parti et se trouver des ennemis parmi les hommes. Il est venu pour renverser nos logiques de fonctionnement et pour réconcilier l’humanité. Devant Pilate, Jésus ne cherche donc ni à s’expliquer ni à argumenter. Il est tout simplement présent là, présent comme il est présent au milieu de nous, parmi les hommes, en vérité. 

Oui, c’est lui dont le prophète Daniel parlait déjà, lui le « Fils d’homme » dont la royauté ne passera pas, lui dont l’Apocalypse nous révèle qu’il est l’Alpha et l’Oméga, le début et la fin de toute chose. C’est lui dont Jean parle dès le début de son évangile : « le Verbe devenu chair », « la lumière par qui tout a été créé », lui qui rend témoignage à la vérité. Voilà qui il est ce roi, le Prince de la paix, voilà celui qui s’est abaissé pour nous élever avec lui à la dignité de fils et filles de Dieu. 

Jésus le dit bien, sa royauté n’est pas de ce monde. Cela ne signifie pas que notre monde ne peut pas être le lieu de sa royauté, cela signifie que notre monde n’en est pas l’origine : « elle n’est pas d’ici ». Si elle n’est pas d’ici, si elle ne lui vient pas de ce monde, c’est que sa royauté lui vient d’ailleurs : la royauté du Fils vient du Père qui l’a envoyé pour rendre témoignage à la vérité. C’est ce « son » là que Jésus fait entendre tout au long de son chemin, la voix de l’envoyé, la voix de celui qui ne parle ni n’agit à son compte, mais pour Celui qui l’a envoyé. Et pour nous qui sommes privés de la voix de Jésus, c’est tout l’évangile qui en fait retentir la sonorité et qui nous attire : « Venez et voyez… » écrira saint Jean (Jn 1, 39).

Comme disciples de Jésus, cela nous oblige. Cela nous oblige à voir notre monde différemment. Cela nous oblige à revisiter les lieux communs où nous vivons, notre quartier, notre travail, non plus comme le lieu de la confrontation mais comme le lieu de la rencontre et du dialogue. Cela nous oblige à témoigner que la règne de Jésus-Christ ouvre de nouveaux espaces de liberté et de paix. 

Avec la fête du Christ-Roi, il est bon de se rappeler que l’exercice du pouvoir n’est pas dans la force et la puissance, dans l’autorité politique et sûrement pas dans l’autorité religieuse – trop souvent cléricale – et qui a provoqué, nous le reconnaissons désormais, des milliers d’abus et d’innombrables violences. La vérité de la royauté du Christ réside dans l’accomplissement d’une seule chose : s’offrir par amour en servant ses frères car, depuis notre baptême, nous sommes tous prêtres, prophètes et rois.
P. Guillaume Roudier 

Homélie – dimanche 23 octobre 2021, 30e dimanche (Mc 10, 46b-52)

Nous sommes parfois malmenés par la vie, par des accidents de parcours ou par des épreuves que nous subissons et dont on se serait bien passé… Ce qui fait notre vie, ce en quoi nous croyons peut être ébranlé. C’est précisément l’expérience du peuple juif au moment de la rédaction du livre de Jérémie que nous avons entendu en première lecture : un peuple en exil qui semble avoir perdu confiance en lui, et surtout confiance en Dieu. N’est-ce pas, aussi, l’épreuve que nous vivons actuellement alors que beaucoup de chrétiens ouvrent leurs yeux sur la terrible réalité des abus et doutent de cette Eglise ? Et que dire de ces milliers de victimes qui, elles, ne se réveillent toujours pas de ce cauchemar vécu dans leur enfance ? Les mots ne suffisent pas, les mots ne suffisent plus. Le silence est nécessaire pour entendre résonner ces cris de douleur et de détresse. 

Comment témoigner que c’est là, dans l’expérience du doute et de la peine, que Dieu se découvre fidèle. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment un père pourrait-il oublier ces enfants qui ont tant besoin de réconfort ? Parmi eux, en premier lieu, ceux qui souffrent de l’indifférence ordinaire : les enfants, les hommes et les femmes victimes des violences quotidiennes, les étrangers, les proscrits, les oubliés. Hier, comme aujourd’hui, ils sont les premiers à qui Dieu redit sa fidélité et son amour. Mais pour nous qui avons l’audace de nous tenir debout en sa présence, comment nous souvenons-nous de celles et ceux qui sont accablés et courbés sous le poids de la honte ou de la culpabilité ? Les victimes d’agression en tout genre ne sont coupables de rien, et elles subissent pourtant notre indifférence et nous en venons parfois même à douter d’elles. C’est terrible, c’est honteux. Ce n’est pas à la hauteur de la fraternité à laquelle nous sommes appelés. 

Il nous faut entendre le cri de ceux qui souffrent dans la douleur de leur corps et de leur esprit. Aux trompettes qui résonnent et qui annoncent toute la journée en boucle des catastrophes et qui entretiennent nos peurs et nos haines, il nous faut privilégier l’écoute des gens, nos voisins, nos collègues, la multitude des invisibles que nous croisons chaque jour, ces hommes et ces femmes qui crient à pleine voix leur besoin d’aide et leur besoin de reconnaissance. Plutôt que chercher à faire taire ces voix qui nous dérangent, soyons bouleversés, soyons émus aux larmes par tant de souffrance. Soyons solidaires de leur destin comme le Christ lui-même se fait solidaire de notre humanité jusqu’au bout. 

Vous l’avez peut-être remarqué, le passage de l’évangile du jour se déroule aux pieds des murs de Jéricho, là où les trompettes de l’Alliance ont ébranlé les murs qui résistaient à Dieu. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les murs de nos cités qui résistent encore à la loi de l’amour, ce sont nos cœurs, et même, nous le constatons douloureusement, notre Eglise. Au temps de Jésus, un homme laissé de côté, un homme qui comptait pour rien, a décidé de faire entendre sa voix : Bartimée. Il n’a pas été épargné dans la vie. Il sait reconnaître sa blessure, son impuissance à s’en sortir seul. Il crie. Et il s’en remet tout entier à celui qui se tient non loin de lui : Jésus. Et cela malgré les fidèles disciples qui essayent de le faire taire. Bartimée insiste, il croit encore que quelque chose est possible, que quelque chose peut changer. Il fait confiance et il espère. 

Et nous ? Sommes-nous plutôt comme la foule voulant faire taire et rabrouant le cri de la souffrance, où sommes-nous plutôt comme l’aveugle Bartimée qui voit au-delà de sa cécité ? En ce temps de crise sanitaire et maintenant de crise dans l’Eglise, peut-être un peu des deux… Peut-être avons-nous peur des bruits du monde, de ce qui nous tombe dessus, peut-être avons-nous le sentiment d’en subir déjà assez comme ça ? Ou peut-être, reconnaissant notre impuissance face à tout cela, savons-nous nous en remettre à Dieu ? Je pense que pour une bonne part nous sommes encore incrédules : nous ne voulons pas croire que, chaque jour, Dieu ne cesse de nous envoyer pour rejoindre les plus petits, les plus oubliés, les plus abimés par la vie, ce sont eux qu’il nous donne à aimer avant tout. Sûrement nous faut-il accepter de nous laisser façonner par l’Evangile ? Oui, il nous faut accepter de laisser la parole de Jésus briser le cercle de cet entre-soi qu’est trop souvent notre Eglise pour entendre le cri des personnes au bord de la route. Trop d’hommes, trop de femmes ont été blessés par l’Eglise et cela au nom même de  l’évangile : les personnes divorcées, les personnes homosexuelles… Cela n’est plus possible. Il nous faut accueillir, il nous faut écouter, il nous faut accepter de faire confiance en ce qui vient tout autant que de changer notre regard sur ce monde.

Dans l’évangile aujourd’hui, justement, le renversement s’opère quand ceux qui faisaient taire sont eux-mêmes remis à leur place par la parole de Jésus : « Appelez-le. » Bienheureux ceux qui se convertissent ainsi par la Parole ! Ceux qui excluaient et maltraitaient désormais appellent leurs frères et soeurs à la confiance et à vivre debout dans la dignité des fils et des filles. Cet « appel à l’existence » se marque tout particulièrement dans ce geste où Bartimée laisse derrière lui ce manteau, symbole de ce qui le retenait enchaîné. Désormais, il peut se lever et avancer en courant vers Jésus. Bref, si nous sommes du côté de la foule, convertissons-nous, Jésus nous envoie. Si nous sommes comme Bartimée, levons-nous et courons vers Jésus, il saura ouvrir nos yeux et nous faire regarder en avant avec espérance. 

Si nous y consentons, si nous relevons le défi de la vraie fraternité universelle, ce ne seront plus seulement ces trompettes de Jéricho qui résonneront pour abattre des murs, ce seront aussi des voix comme celles des disciples-missionnaires convertis par le Christ qui finiront par appeler chacune et chacun à une égalité dignité. Ce seront des voix comme celle de Bartimée que nous entendrons dire leur besoin d’amour. Si nous y consentons, toutes ces voix seront des voix qui ébranleront nos murs intérieurs et ouvriront les portes de notre Eglise. Si nous y consentons, tous et ensemble, ces voix, nos voix pourront enfin donner à l’évangile une résonance audible pour notre temps. 

 P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 12 septembre 2021 (24e – Année B) (Mc 8, 27-35)

Une fois encore, Jésus est en chemin avec ses disciples. De déserts en villages, ils parcourent cette terre cosmopolite de Galilée. Depuis presque trois années pour certains de ceux qui le suivent, depuis quelques mois pour d’autres, ils vivent un compagnonnage qui pourrait sembler bien ordinaire. Pourtant, d’acclamations en silences, de miracles en simples gestes du quotidien, les disciples apprennent peu à peu à le connaître alors que lui, Jésus, se laisse toucher par notre humanité. Bref, c’est une histoire de rencontres, de paroles qui s’échangent et qui vont appeler celles et ceux qui le suivent à risquer une réponse, une réponse à la question qui nous est encore posée ce matin : « Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » 

Est-il Elie, le grand prophète du passé qui doit revenir ? Est-il Jean le Baptiste, celui qui annonce la nouveauté à venir ? Passé, avenir, où en sommes-nous maintenant ? Pour nous, aujourd’hui, qui est-il ? Malgré nos années de catéchisme (ou de séminaire), malgré notre fréquentation plus ou moins régulière de la Bible et notre participation à la messe, c’est une question dont la réponse est loin d’être évidente. Bien sûr, comme ceux qui l’ont bien connu, nous avons des éléments de réponse : il vient de Nazareth, il est le fils de Marie, celui qui fait des miracles et qui se dit Fils de Dieu… Mais pour nous, pour nous qui vivons ici et maintenant, pour nous qui cherchons à donner un sens à notre vie, qui est-il ? Je crois que tenter de répondre à cette question, donne sens à notre existence. Pour ma part, d’ailleurs, j’avais choisi ces quelques mots sur mon faire-part d’ordination diaconale en 2015 : « Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Une manière, je crois, de signifier combien, nous disciples du Christ, nous sommes tous appelés à servir non seulement la Parole de Dieu, mais aussi servir la parole de ceux qui peinent à trouver les mots pour dire leur préoccupation, leur doute, leur souffrance. 

« Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pour essayer de répondre, nous pourrions nous risquer à témoigner de notre espérance en lui. Comme l’amour de Dieu, nous croyons que l’espérance a ceci d’étonnant qu’elle est assez large, assez grande pour s’ouvrir et se partager au monde. Chaque jour, même ceux qui semblent les plus ordinaires, nous pouvons ainsi signifier qui est Jésus. Témoigner de notre espérance, la partager, c’est appeler à l’existence la multitude de celles et ceux qui doutent dans les crises successives que nous vivons, ceux qui souffrent dans leur histoire personnelle et leur vie professionnelle, ceux qui perdent espoir en l’avenir. Avec eux, nous pouvons tenter de répondre. 

« Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Il est le Christ nous dit Pierre, celui qui a reçu l’onction des rois d’Israël et qui désormais fait des plus petits parmi nous, celles et ceux qui siégeront au plus près de lui. Alors peut-être que nous ne comprenons pas encore toute la portée de cette question. Sûrement, nous n’avons pas les mots suffisants pour y répondre et comme Pierre nous sommes, pour une part, soumis au silence. Cela est bon : oui il est bon d’essayer de dire qui est Jésus pour nous, et il est bon de ne pas pouvoir tout dire pour laisser à d’autres la possibilité de prendre la parole.

« Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Cette question n’en finit pas de nous interroger, de nous surprendre, de nous déplacer, de nous remettre en question. Tenter d’y répondre, c’est à la fois faire relecture de notre itinéraire, de la rencontre de Jésus dans notre vie, et déjà nous tourner avec d’autres vers le Royaume dans lequel, nous le croyons, chacune et chacun est appelé. Tenter de répondre à cette question, c’est, comme Pierre, se laisser faire par l’Esprit à l’oeuvre dans notre vie. Et c’est, comme Jacques nous y invite dans sa lettre, lier notre foi aux oeuvres. 

« Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » La question de Jésus est profonde, et la réponse de Pierre est juste : « Tu es le Christ ». Mais ne craignons-nous pas un peu de le voir s’abaisser, lui le Messie tant attendu ? Ne sommes-nous pas déçus qu’il ne s’oppose pas par la force aux puissants ? Pouvons-nous entendre qu’il nous demande d’assumer nos propres croix ? Sommes-nous prêts, aujourd’hui encore, à le suivre sincèrement en le reconnaissant, lui Jésus, comme le Messie ? Concrètement, sommes-nous prêts à faire de notre vie toute entière un témoignage de son évangile ? Tout cela est bien compliqué et fait peur. Personne ne peut suivre le Christ sans se risquer vers l’inconnu et vers les autres. Mais devenir disciple est le chemin de toute une vie ; et c’est chemin faisant, justement, que nous apprendrons à le reconnaître, lui le Ressuscité, marchant à nos côtés sur nos routes humaines. 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 22 août 2021, 21e Année B (Jn 6, 60-69)

Notre lecture du chapitre 6 de saint Jean se poursuit. Souvenez-vous, jusqu’ici Jésus s’est adressé aux foules puis aux Juifs. Aujourd’hui, nous assistons à la réaction des disciples face à la rudesse des paroles de Jésus, puis à la réponse de Jésus. En effet, surtout chez saint Jean, les mots de Jésus peuvent paraître durs à ceux qui les entendent. Notre seule intelligence, notre meilleure volonté de les comprendre, n’y suffisent pas. Il faut non seulement des « oreilles pour entendre » mais aussi, et surtout, un coeur pour les accueillir. 

Oui car les mots de Jésus nous obligent. Ils nous invitent à revoir nos priorités, notre manière d’être au quotidien avec nos proches, nos collègues, nos voisins… et avec nous-mêmes ! Ce sont des mots qui appellent à revoir sans cesse la justesse de notre attitude chrétienne. En somme, des mots de vérité. Certes, ils peuvent être difficiles à entendre : c’est parce que nous résistons. Oui c’est parce que nous résistons qu’ils ont été durs à admettre, à faire nôtres. Pourtant, si nous acceptions de bon coeur de nous laisser transformer par son évangile, si nous acceptions de suivre Jésus, sincèrement, peut-être découvririons-nous que résister ne sert à rien ? Peut-être découvririons-nous que la vie bonne, la vie heureuse, c’est celle où le Christ nous donne rendez-vous chaque jour ? En réalité, c’est bien parce qu’il partage notre humanité que Jésus sait de quoi nos coeurs sont faits, de quoi nos coeurs ont besoin pour sortir de leur torpeur. Et le Fils de l’homme nous connaît si bien qu’il sait que notre désir de le suivre se joue là, dans ce jeu entre l’appel à le suivre et notre liberté.  

Au début de ce chapitre de l’évangile de Jean, les foules étaient enthousiastes. Maintenant, à la fin, il n’y a presque plus personne, tout le monde s’en va et seuls les Douze demeurent (dont Judas !). Nous pourrions dire que le discours de Jésus a fait son travail : il a détruit un imaginaire, sans doute aussi une idole, la figure d’un messie super-héros. Et en reconnaissant en lui le « Saint de Dieu », Pierre nomme celui qui ne provient pas de notre invention, de notre imagination : le Fils de l’homme vient de Dieu. 

Evidemment, comme dans le livre de Josué, nous sommes libres de choisir le dieu que nous voulons. Mais si nous choisissons de suivre le Dieu de Jésus Christ, si nous choisissons le Dieu de la vie, alors nous pourrons faire de toute notre vie un témoignage : à la fois un témoignage d’espérance (et notre monde en a bien besoin en ce moment), un témoignage de fraternité (là encore, nous sommes attendus) et un témoignage de solidarité (et cela résume tout le reste). 

En choisissant de poursuivre notre route humaine à l’allure de Jésus, c’est-à-dire selon sa marche, son style, son attitude, nous renonçons de fait à être notre propre maître. Nous ne renonçons pas à la liberté : nous renonçons à ce que notre liberté soit au service de nous-mêmes. Et cela est bien différent. En choisissant de suivre la Parole du Christ, nous reconnaissons humblement que la vie nous est donnée, tout comme la foi. Oui, en choisissant Celui que le Christ nous annonce, en acceptant de le suivre, lui, nous pourrons alors mêler nos voix à celle du psalmiste et louer le Seigneur : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres… » 

Alors soyons dans la joie des pauvres évoqués dans le psaume. Comme saint Paul y invite les Ephésiens, soyons des hommes et des femmes, en Eglise, qui choisissons de nous respecter, de nous reconnaître réciproquement dans une égale dignité (même s’il reste encore beaucoup à faire…) pour que notre témoignage soit vrai. Et demandons au Père et à son Esprit de faire de nous des hommes et des femmes toujours plus attentifs à notre monde, aux cris de nos frères et soeurs en humanité, pour n’avoir de cesse de nous ajuster au Christ. 

 P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 8 août 2021 (19e – Année B) (Jn 6)

Ce matin, nous poursuivons la lecture du chapitre 6 de saint Jean. Jusqu’ici, Jésus dialoguait avec la foule. Désormais, apparaît un groupe particulier : les « Juifs ». Quand l’évangile de Jean parle des « Juifs » il ne désigne évidemment pas tout le peuple hébreu mais un petit groupe, quelques-uns. Ils ne sont pas comme la foule à la recherche d’un signe, d’un espoir, eux, ils savent ! Et ils ne peuvent accepter les propos de Jésus selon lesquels, en le suivant, le ciel et la terre sont réunis dans un mouvement d’amour. 

Les juifs savent les Ecritures et ils croient bien connaître Jésus puisqu’ils connaissent son père et sa mère. Il est bien question de savoir et de connaître aujourd’hui : connaître le chemin qui nous reste à parcourir et prendre des forces en conséquence, comme le prophète Elie ; connaître notre ressemblance à Dieu comme Paul y invite les Ephésiens ; et connaître le Fils pour découvrir le Père…  Tout est lié et ainsi le psalmiste nous invite aujourd’hui à entrer dans ce mouvement, « à goûter et à voir la bonté du Seigneur » (Ps 33). Goûter… oui il est bien question de repas dans ce que nous avons lu, de pain précisément, de ce qui nous nourrit, et de ce qui nous rassemble une fois de plus ce matin. Et si la manne mangée par les pères au désert n’a pas su les maintenir en vie, il est question, en Jésus, d’un pain qui donne une vie nouvelle, qui donne la vie du monde. 

Nous pourrions reconnaître dans la manne quelque chose de ces fruits du jardin de la Création, ceux dont ni Adam ni Eve ne devaient manger au risque de connaître, justement, la mort. Oui, il est des nourritures qui, loin de nous donner la vie, nous font connaître la mort. Au sens symbolique, cela est très vrai encore aujourd’hui me semble-t-il. Que pourrions-nous dire, en effet, de ce qui nous rassasie temporairement et qui finalement nous fait du mal : certains médias qui ne véhiculent que des mauvaises nouvelles et du désespoir mais dont nous sommes parfois friands ? Que dire de ces petits mots glissés ici et là, entre deux portes, au téléphone, dans la rue ou sur la place du marché, et qui ne sont que ragots et malveillance ? Bref, parfois, ce que nous croyons connaître, ce dont nous nous nourrissons n’est pas fait pour la vie. 

En revanche, bonne nouvelle, il est un pain de vie offert à tous et qui, lui, nous mène à une joie profonde. Finies les interdictions de la Genèse qui menaçaient notre liberté de manger et de faire tout ce que nous voulions ! Oui mais… si Jésus se donne librement c’est bien pour les autres, c’est pour le bien des hommes. C’est à la fois ce qu’il est profondément et la manière dont il vit ce don de lui-même qui est ce pain qui nous fera vivre : « si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ». 

En évoquant les temps qui nous ont précédés, en faisant allusion à la manne et peut-être au récit originel, Saint Jean nous donne à connaître Jésus autrement. En bonne christologie, nous dirions que Jésus est le nouvel Adam. En lui, toute la création trouve son sens. Et nous les hommes, au milieu de tout cela, nous avons ainsi un chemin qui s’offre à nous : ce n’est plus une punition et un départ forcé, un exil de l’Eden, c’est un consentement libre et heureux, un don de soi « pour la vie du monde ». Croire en Jésus, aller vers lui, aller avec lui, c’est reconnaître en lui une parole déjà entendue dans le secret de notre coeur, parole du Père qui révèle la vérité cachée de l’origine. Cette parole, elle est le don de la vie toujours au présent, un amour comme une source qui ne cesse de jaillir.

Dans son évangile, Jean évoque les récriminations qui entourent Jésus. Certains s’estiment lésés et ils récriminent contre cet homme qui veut prendre soin des plus fragiles et des plus petits. Pourquoi d’abord eux ? Et moi alors, je ne compte pas ? Evidemment que je compte. Et c’est bien parce que chacun compte que Jésus appelle chacun à le suivre et à quitter tout ce qui fait nos certitudes habituelles. Dans ces quelques lignes, Jean nous renvoie à ce qui fait sens pour notre humanité : marcher en choisissant d’aimer, à la suite du Christ. Et Paul nous le révèle aussi. Dans sa lettre aux habitants de la grande ville d’Ephèse, ville où de nombreux peuples vivent ensemble, il interpelle les disciples de Jésus : il ne leur demande pas de ne pas se mêler aux gens, il les met en garde contre l’irritation, la colère, les insultes, la méchanceté… Et il leur redit que, comme disciples, ils sont appelés à être des témoins, ensemble : « Soyez entre vous plein de générosité et de tendresse… Cherchez à imiter Dieu… vivez dans l’amour » (Ep 4). Je crois qu’en ces temps troublés où liberté et fraternité sont l’une et l’autre agitées et quelque peu instrumentalisées, nous pouvons trouver ici un peu de sagesse et de paix. 

Chaque dimanche, ce n’est ni la manne que nous recevons, ni même un super vaccin contre le mal, c’est une Parole de vie et un partage dans l’amour fraternel. Et cette nourriture là, ce pain eucharistique, chacun en reçoit une part égale. Et il en reste encore, comme les paniers après la multiplication des pains et des poissons. Cette Parole reçue et partagée nous permet d’habiter pleinement notre condition d’hommes et de femmes destinés à aimer. 

En ce dimanche, au coeur de l’été, alors que le monde gronde, suis-je fatigué et lassé, suis-je à la recherche d’une nourriture pour moi seul, ou suis-je amoureux de Dieu et de mon prochain ? Avons-nous véritablement faim du pain de vie ? Avec joie, comme l’ange devant Elie, allons découvrir qu’ils sont nombreux les messagers inattendus dans notre vie qui nous donnent de quoi nous fortifier, qui nous donnent à connaître et à partager le pain de vie. 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 27 juin 2021 (13e – Année B) 

Quand nous prions, nous disons souvent : « Dieu tout puissant ». Alors on s’imagine Dieu qui crée la vie, qui façonne le monde, qui érige les montagnes… Dieu peut tout. Oui, Dieu est là dans son acte de création. Mais parfois je préfère le nommer « Dieu tout aimant ». Au fond, c’est peut-être la même chose puisqu’il crée par amour, mais cela m’est plus facile. Cela m’oblige à ne pas oublier que Dieu est amour. C’est important je crois parce que lorsque nous voyons la souffrance de tant de personnes autour de nous et dans le monde, nous pourrions être désespérés. Or, Dieu tout aimant nous dit bien que le Père n’oublie aucun de ceux-là et qu’il les rejoint dans leurs épreuves. Dieu se met à hauteur d’homme, au plus proche de nous, il se place parmi nous : Jésus est là, au coeur même de notre humanité pour nous dire que le Père nous aime d’un amour fou, jaloux, débordant. Il est là pour nous dire que le Père se laisse toucher par les souffrances  de chacun et les maux de notre temps. Il se laisse émouvoir par nos fragilités humaines et nos angoisses de ce qui vient. 

L’Evangile de Marc qui entremêle deux récits ce matin insiste sur ce contact-là, entre Dieu et notre vie. C’est une rencontre bien réelle, bien incarnée pourrions-nous dire, puisque Jésus est touché par la supplique de Jaïre autant que par la main de cette femme dont on ignore le nom mais qui dit la détresse de tant de femmes. C’est ainsi que la relation entre Dieu et nous se tisse : lorsque Jésus se laissant toucher par notre humanité nous touche à son tour par sa grâce divine. Cette relation entre Dieu et les hommes est autant intime qu’universelle puisque nous sommes, tous, invités à vivre une telle rencontre. 

Car à bien y regarder, Jaïre et cette femme, ces deux protagonistes n’appartiennent pas aux mêmes groupes sociaux, ne sont pas de statut identique, n’existent pas aux yeux du monde de la même manière. Pourtant l’un et l’autre, au coeur de leur foi, vivent cette même rencontre avec le Christ qui porte sur chacun un regard singulier, qui cherche à les connaître et à les reconnaître pour ce qu’ils sont : des personnes à part entière. L’un et l’autre ont su, non sans un peu d’audace, poser leur regard sur Jésus et ont reçu un regard d’amour en échange. Jésus Christ est venu pour nous remettre debout, pour nous relever dans notre dignité humaine et nous élever vers l’amour du Père. Autrement dit, il vient pour nous ressusciter. 

Et si nous avons été créés à l’image de Dieu comme le livre de la Sagesse nous le rappelle ce matin, c’est pour que, à l’image du Père, nous soyons capables d’aimer à notre tour. Comme la fille de Jaïre perdant la vie, comme cette femme exclue de toute vie sociale, le Christ nous appelle à l’existence pour aimer comme nous sommes aimés. Gratuitement, aimer. Dans la joie, aimer. Tout simplement aimer. Cet amour, nous l’avons reçu par abondance et nous sommes invités à le donner avec la même abondance. C’est le mouvement même de toute la vie du Christ que Saint Paul rappelle aux Corinthiens dans sa lettre : « lui qui est riche, il s’est fait pauvre, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté ». Et il précise : « il s’agit d’égalité ». Nous pourrions dire qu’il s’agit de l’égale dignité des fils et des filles de Dieu. Avec et par le Fils, nous recevons du Père cette même grâce de l’amour. Car de cet amour, nous avons tous besoin. De ce regard bienveillant, de cet encouragement, de cette consolation, nous avons tous besoin. Mais, chose extraordinaire, plus nous le donnons et plus cet amour se multiplie ; plus nous le partagerons et plus nous en vivrons. 

Ces deux récits entremêlés nous appellent aujourd’hui à nous interroger : à la suite du Christ, et de ses disciples présents à ses côtés ce jour-là, comment nous laissons-nous toucher par la souffrance de nos contemporains ? Comment relevons-nous dans leur égale dignité tant de femmes qui, parce qu’elles sont femmes, sont encore trop souvent exclues ou traitées inégalement ? Avec la même audace que Jaïre et cette femme, osons nous rapprocher un peu plus du Seigneur, osons lui demander de nous relever dans l’égale dignité des filles et fils de Dieu, osons lui demander de nous relever de nos endormissements mortifères pour nous et pour notre monde. Laissons-nous, à notre tour, toucher par la grâce de sa résurrection. Entendons les mots de « Dieu tout aimant » qui sont adressés à notre temps et à notre Eglise : « Talitha koum » – jeune fille, je te le dis, lève-toi ! 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 20 juin 2021, 12e dimanche du Temps ordinaire (Mc 4) 

En cette fin d’année scolaire, au moment des bilans et des relectures, nous pouvons nous interroger : quelles sont mes tempêtes intérieures, mes colères, mes coups de gueule pour ces mois passés ? Qu’est-ce qui m’effraie ? Autres questions qui, me semble-t-il, nous interrogent : qu’est-ce qui m’apaise ? Ou plutôt qui m’apaise ? Dans cette année, si particulière, que nous venons de vivre où le doute et la peur nous ont assaillis, à quoi, à qui, me suis-je fié ? 

Au Christ, évidemment. Personnellement, je me suis raccroché à lui. Je lui ai fait confiance. J’ai gardé le cap alors qu’au boulot je vivais des réorganisations incessantes et pas toujours confortables. Alors que pendant plusieurs mois en télétravail, comme des millions de personnes, j’ai mesuré que le travail c’est aussi du lien social. Avec le Christ, j’ai gardé le cap alors que, comme tout le monde, j’ai angoissé en écoutant les média qui de jour en jour comptabilisaient le nombre des victimes, et cela jusqu’à accompagner un collègue dans un épisode dépressif suicidaire. Alors oui, je me suis fié au Christ, à la force de sa Parole, à sa pertinence dans la crise que nous vivons. Dans l’épreuve, j’ai risqué ma foi ou plutôt j’ai vécu dans l’espérance. Vous le savez, l’espérance est symbolisée par une ancre : cette vertu nous empêche d’être emportés en pleine tempête, elle nous retient. 

Mais je me suis fié à autre chose. Non pas au Professeur Raoult, mais à vous communauté chrétienne de Saint Fons et Feyzin. Avec vous, parmi vous, mes craintes ont été apaisées car j’ai vu notre capacité d’adaptation et de résilience. Alors que nous cherchions à tâtons comment renouveler notre manière de faire Eglise, je nous ai vus oser essayer autrement et, comme les disciples, « passer sur l’autre rive ». Et si nous avons tous été surpris par l’ampleur de la tâche, devant s’ajuster sans cesse aux circonstances imposées par le diocèse et les autorités sanitaires, c’était pour prendre notre part à ce défi commun, pour prendre soin les uns des autres. 

Depuis septembre, nous avons connu une réorganisation paroissiale : plus de curé (mon Dieu !), mais une coordinatrice pastorale, Maryline, que je tiens à remercier tout particulièrement. Tu as tenu bon, malgré les vents contraires et les vents de côté. Je me rends bien à l’évidence que nous n’avons pas su partager avec toi, avec l’EAP, avec les prêtres, avec toute notre communauté, la charge qui t’incombait. Sûrement nous avons manqué de temps, de rencontres autrement que par Zoom, et même de préparation en amont pour que ce projet se vive au mieux. Avec les membres de l’Equipe Pastorale, nous avons bien compris que tout ne se ferait pas en une année, et que nous-mêmes nous avions besoin de temps pour travailler autrement aux projets pastoraux, pour décider ensemble de la conduite de notre ensemble paroissial. Vous vous en doutez, la synodalité que le Pape François appelle de ses voeux pour l’Eglise ne se fera pas en quelques mois (surtout en temps de pandémie). Peut-être, néanmoins, ces derniers mois, avons-nous essayé de faire Eglise en étant, un peu plus, des femmes et des hommes coresponsables de notre communauté chrétienne, et je dirai même de notre communauté humaine. Nous avons essayé d’être un peu plus, et ensemble, des disciples-missionnaires pour signifier que tout ne joue pas dans nos liturgies, mais aussi dans nos fragilités et nos solidarités quotidiennes, dans nos diversités et notre fraternité ordinaire. Et les exemples sont nombreux : collectes de nourriture, coups de téléphone et visites aux malades et aux personnes âgées, dialogue avec nos voisins d’autres confessions, etc. 

Alors oui, nous sommes surpris par la route qui nous reste à parcourir. Chemin faisant, nous découvrons que le Christ nous attend finalement un peu plus loin, toujours ailleurs, là où nous ne l’avions pas envisagé. Pour ma part, cela fait 5 ans que je suis prêtre avec vous. Avec vous mais pas uniquement pour vous. Vous le savez, il y a bien des manières d’exercer le ministère de prêtre dans l’Eglise parce qu’aucune ne peut signifier à elle seule le ministère-même de Jésus Christ. C’est une conviction forte pour moi. Et c’est pour cela que je me réjouis de la belle équipe de prêtres au service de nos communautés. Nous avons nos forces, et comme chacun de vous, nous avons aussi nos faiblesses. Pour une grande part, ma semaine se passe au travail. Là où l’évêque de la Mission de France m’a envoyé au nom de l’Eglise. Si j’ai choisi de répondre à cet appel, c’est pour lui, le Christ. Pour sa manière extraordinaire de parler au coeur inquiet des hommes et des femmes de notre temps. Pour répondre à leur curiosité sur le monde inconnu de l’Evangile, pour partager avec eux qu’il est bon et heureux de cheminer entre frères et sœurs au sein d’une communauté comme la nôtre. C’est pour cela que j’ai choisi d’être missionnaire : pour signifier par ma présence, comme prêtre au milieu de mes collègues, que leur vie aussi est rejointe par la parole apaisante du Christ et que l’Eglise se soucie d’eux. 

Ces dernières années, et cette année passée en étant simplement prêtre auxiliaire (c’est-à-dire littéralement « qui aide ») m’ont rempli de joie. Peut-être ne l’ai-je pas assez partagé, reversé dans l’action de grâce le dimanche avec vous… Mais soyez-en sûrs, ce qui m’a permis de traverser les premières années parfois tempétueuses de mon ministère, et le cyclone de cette dernière année, ce qui m’a permis chaque jour de partir au travail pour y vivre l’Evangile, c’est le Christ et c’est vous.

Depuis plusieurs années, avec les prêtres de la Mission de France, vous avez vécu des hauts et des bas. Cette année qui s’achève n’échappe pas à ce bilan selon moi : des peines et des joies. Aujourd’hui, dans notre liturgie, nous avons surtout choisi de mettre en avant nos joies, mais n’oublions pas tout le reste et remettons-le bien volontiers entre les mains du Seigneur qui saura bien en faire quelque chose. Il a un certain talent pour recycler et transformer… 

En tous cas, ce qui nous a été donné de vivre au cours de cette année ô combien singulière, nous pouvons le voir comme l’opportunité pour notre ensemble paroissial de se situer au coeur-même de la vie de l’Eglise qui est à Lyon. Suite à l’appel de Mgr Dubost, alors administrateur du diocèse, et avec deux autres paroisses, nous avons tenté de redécouvrir la responsabilité de chaque baptisé, et pas seulement celle des prêtres. Ce que nous avons essayé de vivre, tant bien que mal, nous ne l’avons pas fait pour nous-mêmes, nous n’avons pas orgueilleusement et « quoi qu’il en coûte », tenu tel ou tel rendez-vous, telle ou telle habitude ou messe parce qu’il fallait le faire, parce que cela s’est toujours fait ainsi… Ici comme dans d’autres communautés chrétiennes, nous savons bien que l’Eglise est appelée à renouveler son mode de présence et son organisation en faisant une plus grande place aux baptisés pour rendre compte de l’égale dignité des enfants de Dieu. Nous savons bien que l’Eglise n’est pas faite pour elle-même, qu’elle ne chemine pas sur terre pour s’annoncer elle-même. Mais parce que nous cherchons sans cesse à témoigner d’un Autre, de celui qui sait parler aux foules et mettre le calme dans nos coeurs parfois tourmentés. En lui, comme le dit Saint Paul, « nous sommes des créatures nouvelles ». 

Je fais un voeu ce matin : n’ayons pas peur de la nouveauté, de ce qui change en nous et autour de nous. Après cette année de crises, après une année où nous avons tenté, sûrement maladroitement, de chercher une nouvelle manière de faire Eglise, et pour l’année qui vient, ne nous regardons pas les uns les autres de manière simplement humaine, ne regardons pas notre communauté de manière simplement humaine. Regardons-nous avec les yeux du Christ ressuscité. Comme Paul le lance aux Corinthiens, portons un autre regard, un regard empli d’espérance : « le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. » Bonne fin d’année à tous. 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 30 mai 2021, fête de la Trinité (Mt 28) 

Pâques, Ascension et dimanche dernier Pentecôte. Depuis deux mois nous avons vécu ces fêtes et voilà désormais le temps ordinaire qui s’ouvre de nouveau devant nous, le temps du quotidien, celui de la mission, de l’Eglise, de l’Evangile. Aujourd’hui où nous fêtons Dieu Trinité, nous célébrons Dieu tel qu’il se révèle à notre humanité, tel qui s’est manifesté dans notre monde et qui, chaque jour, continue de se rencontrer à la fois comme Père, et comme Fils, et comme Esprit. 

Un seul Dieu qui est Trinité : à première vue il semble difficile de dire que 1 = 3 !? Et pourtant Dieu se révèle ainsi : en nous surprenant, en défaisant tous nos modèles, toutes nos logiques de calculs. Ce n’est pas pour nous embrouiller, peut-être pour nous empêcher de penser que nous avons déjà tout compris… Mais ne voyons pas Dieu comme une équation à résoudre : Dieu Trinité, cela relève du mystère, un mystère qui nous fait du bien ! 

Nous l’avons entendu dans la lecture du Deutéronome, les temps anciens peuvent cependant nous aider à découvrir quelque chose de ce mystère. Oui, nous pouvons relire notre vie déjà vécue, plus ou moins longue, et y trouver, y reconnaître les manifestations de l’amour de Dieu Père : tant de moments où sa tendresse et sa miséricorde étaient avec nous comme soutien. Et au moment où nous nous tournons avec espérance vers la sortie de la crise, nous pouvons reconnaître Celui qui était là, à nos côtés, au cours de ces derniers mois. 

Nous pourrions aussi nous réjouir d’être invités à participer à ce mystère en nous faisant proches des plus petits. C’est là que quelque chose de Dieu se révèle, c’est dans cette fraternité toute humaine que nous pouvons nous rapprocher du Fils. Alors quand cette semaine nous découvrons dans les médias que près de deux millions de personnes sont touchées par la grande pauvreté en France, comment réagissons-nous ? Comment reconnaissons-nous en eux un rendez-vous avec le Christ ? 

Enfin, pour discerner quelque chose du mystère de Dieu Un et Trinitaire, nous pourrions tenter de vivre chaque jour nouveau en recherchant, dans les signes des temps, les marques de son Esprit. Nous le croyons agissant en chaque femme, chaque homme de bonne volonté. C’est lui qui nous pousse là où nous ne pensions pas aller, c’est lui qui nous fait sortir de nos endormissements et de nos peurs. C’est lui qui nous fait entrer dans l’élan même de Dieu. 

Bref, Dieu Trinité n’en finit pas de nous aimer et de nous appeler à le rejoindre. Dans notre vie, Dieu se conjugue autant au passé, au futur, qu’au présent. Ce qui le caractérise, ce qui nous permet de le reconnaître, c’est son amour. Dieu est amour ; et il nous invite bel et bien à nous mêler à son amour : avec tendresse, à le nommer lorsque nous l’appelons Abba – Père ; avec joie, à le reconnaître Vivant parmi nous ; avec audace, à participer à son œuvre de création portés par son Esprit. Et si le temps que nous vivons est encore traversé de doutes et de questions, c’est précisément là que Dieu Trinité nous appelle, nous chrétiens, à être des fils, des frères, des envoyés. 

Dieu est Père, et Fils, et Esprit. Ce mystère, nous pouvons en observer quelque chose dans le travail de certains artistes, dans des tableaux, des icônes, des vitraux… La manière dont Dieu est parfois représenté peut nous aider. Une des plus célèbres images est l’icône peinte au XVe siècle par un moine russe : Andreï Roublev. Dans cette icône, le Père, le Fils, l’Esprit échangent un regard. Dieu est en lui-même ‘relation’, Dieu Trinité est mouvement d’amour. Et Dieu est tellement mouvement d’amour qu’il déborde de lui-même, il se donne, il se répand, il se partage. Et nous sommes, tous, invités à nous mêler à cette communion, à entrer dans le mystère de cette relation. 

Ici ou là, nous pouvons être interrogés : « Qui est Dieu ? – C’est quoi la Trinité ? » Nous ne pouvons pas répondre avec une définition toute faite. Même les meilleurs théologiens, qui essayent de nous aider à avancer, reformulent sans cesse leur réponse. Bien sûr, nous pouvons citer l’Ecriture : « C’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre.» (Dt 4) Ou encore : « La terre est remplie de son amour. » (Ps 32) Bien plus encore, nous pouvons témoigner. Nous pouvons dire que Dieu est une rencontre, Dieu est celui qui vient à nous, celui qui se dévoile fidèlement présent parmi nous. Il est à la fois le tout-autre, et le tout proche. Comme les disciples dans l’Evangile de Matthieu, nous pouvons nous risquer dans cette aventure de l’amour. Etre envoyés « au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit », c’est être envoyés ensemble dans un même mouvement d’amour.

P. Guillaume Roudier

Homélie – dimanche 23 mai 2021, fête de Pentecôte (Ac 2, 1-11//Jn 15, 26-16, 15

Souvenez-vous du début de la Bible, de la Genèse : « Au commencement était le Verbe… et l’Esprit planait au-dessus des eaux. » Dieu façonne le monde selon sa Parole et par son Souffle créateur (πνευμα). C’est à partir de là que tout a commencé, c’est de là que nous venons, c’est de là que nous partons. D’un tas de poussière informe, Dieu a façonné un tout. D’un « tohu-bohu » originel, il a fait un monde de vies. Et son travail de création, le Seigneur le poursuit. Aujourd’hui, des hommes déformés par la peur, malmenés par les angoisses des crises que nous vivons, il fait des hommes nouveaux, des témoins d’espérance, des messagers de paix, des bâtisseurs d’amour. Il donne sens à notre vie. 

Si nous cheminons encore dans un clair-obscur sans toujours savoir ce qui se dessine à l’horizon, nous sommes invités à nous laisser rencontrer par la vie qui vient de Dieu et plus encore habiter par son Souffle. Oui, n’en doutons pas, l’Esprit nous dépoussière. L’Esprit fait le ménage dans notre vie pour que l’amour, et rien que l’amour, y demeure. L’Esprit fait de nous des êtres étonnants, des êtres capables d’aimer Dieu, et en même temps capables d’aimer l’humanité toute entière.  

Le récit des Actes des apôtres le raconte, ceux qui ont peur, ceux qui sont enfermés dans la peur, vont être soufflés par la joie de l’amour universel. Rien ne pourra être retenu, tout va se transformer. Quelle aventure ! Après les années dans le désert pour le peuple sorti d’Egypte, après la nuit de Pâques pour les disciples, Pentecôte est l’ultime passage : celui de la peur à la joie, celui de l’entre-soi vers la multitude. C’est le temps de l’Eglise, le temps de la mission. 

Dans l’histoire du peuple de Dieu, le récit de Babel illustrait notre tentation humaine à vouloir tout uniformiser, nous élever, tout maîtriser. Animés par l’Esprit de Dieu, en cette fête de la Pentecôte, c’est tout autre chose : nous choisissons la diversité, nous acceptons de devenir serviteur de la Parole, nous nous réjouissons de nous laisser faire par l’inattendu. Cet inattendu nous surprend, et les marins le savent bien, le vent peut venir de n’importe où : de face, de travers, de derrière. Aussi, Dieu peut nous pousser, nous renverser, nous attirer. Le vent souffle où il veut… Ce qui est certain, c’est que nous avons à nous déplacer, à voir le monde autrement. 

La grande chance de l’humanité aujourd’hui est de connaître l’immensité du monde dans sa diversité, un mélange incroyable de peuples, de religions, de dons. Tout cela entremêlé. Voilà ce qu’est la belle fête de Pentecôte : la fête des peuples de Dieu ! Et c’est précisément là que nous sommes envoyés, à cette heure favorable. Car c’est bien ce monde, cette réalité tout entière qui est appelée à devenir le Royaume de Dieu. Mais ce monde où l’Esprit nous envoie n’est pas forcément au loin, de l’autre côté de la Terre. Autrefois les grands missionnaires le pensaient et ils partaient en Asie ou en Amérique du Sud. Aujourd’hui, pour nous, le monde auquel nous sommes envoyés commence ici, dans nos quartiers avec nos voisins, au travail avec nos collègues, à l’école avec nos copains. 

Ici et là, nous pourrons compter sur les dons de l’Esprit : la sagesse, qui nous fait goûter la présence de Dieu en toute chose. L’intelligence des Écritures, qui nous permet l’interprétation des signes des temps. La science, qui nous permet de reconnaître Dieu à l’oeuvre dans la nature et dans l’histoire. La force, qui nous donne la persévérance dans l’épreuve et le courage du témoignage. Le conseil qui nous guide dans le discernement spirituel et nous permet de nous ajuster à ce qu’il convient de faire. La piété, ce lien qui donne un sens à toute notre vie, qui nous fait entrer dans la tendresse de Dieu en nous rendant proche les uns des autres. La crainte, c’est-à-dire l’humilité, la conscience de l’infinie distance entre Dieu et nous. 

L’Esprit nous guide, soyons dans la paix et la joie. Je le redis, la Pentecôte, c’est le temps de l’aventure missionnaire, le moment où nous sommes envoyés pour témoigner : témoigner c’est-à-dire rendre compte de notre foi, de notre espérance, de l’amour de Dieu ; témoigner c’est aussi constater que l’Esprit est déjà à l’œuvre ici et maintenant. Oui, au milieu de nous se tient celui que nous ne cessons de découvrir. Voilà de quoi nous réjouir ! Tout à l’heure, à la fin de cette célébration, nous le vivrons ensemble, nous serons envoyés, soufflés par le Vent de l’Esprit : « Chacun à l’écoute des autres, et tous à l’écoute de l’Esprit Saint » comme nous y invite le Pape François.

P. Guillaume ROUDIER

 

Homélie – dimanche 16 mai 2021, 7e dimanche de Pâques (Jn 17,11-19)

Nous venons d’entendre une partie de la grande prière de Jésus qui précède son arrestation : « la grande prière sacerdotale ». Cette prière adressée par le Fils au Père concerne ses disciples, « ceux qui sont là » avec lui. Et à travers eux, c’est déjà le monde entier qui est évoqué, une multitude d’hommes et de femmes à qui ils vont bientôt être envoyés, et nous avec eux. Oui, cette prière nous place précisément au seuil de la Pentecôte à venir, et c’est bien de la mission dont il est déjà question : la mission des disciples que le Christ va envoyer dans le monde, à sa suite. 

Nous pouvons néanmoins être étonnés de cette distinction forte chez Saint Jean : « ne pas appartenir au monde… » Ne pas appartenir au monde ne signifie pas ne pas avoir les pieds dans le monde, cela ne signifie pas ne pas connaître le monde, mais plutôt ne pas s’y confondre, ne pas s’y perdre, ne pas lui être dépendant… « Car le monde n’est pas toujours un obstacle à prier pour le monde, comme l’écrit Madeleine Delbrêl. Si certains doivent le quitter pour le trouver et le soulever vers le ciel (elle évoque là les moines et moniales), d’autres doivent s’enfoncer en lui pour se hisser, amis avec lui, au même ciel. » Ne pas appartenir au monde mais donc plutôt s’y enfouir, le fouler, s’y mêler pour le faire tout entier entrer au Ciel. Être envoyés dans le monde, pour le monde, à la suite de Jésus de Nazareth, c’est déjà faire advenir le Royaume ici et maintenant. 

Pour les disciples envoyés, c’est dans leur rencontre avec le monde que tout va précisément se jouer ; c’est dans leur témoignage que tout va se mêler : à la fois la Parole de Celui qui les envoie, et la parole de celles et ceux qu’ils vont rencontrer ; à la fois l’Evangile, et les histoires humaines. Oui, le Christ envoie au monde ceux qu’il appelle ses amis pour qu’à l’échelle de leur vie, dans chacune de nos vies, l’extraordinaire de Dieu puisse se rencontrer dans l’ordinaire des jours. L’extraordinaire de Dieu et l’ordinaire des jours, l’un et l’autre intimement mêlés à l’échelle de nos vies de disciples, à l’échelle de notre communauté chrétienne au coeur de la ville. Comme le font résonner les Actes des apôtres et la lettre de Jean, c’est à cette vie fraternelle et juste, c’est-à-dire ajustée au monde, dans la fidélité à l’Evangile, que nous sommes envoyés. 

Et c’est parce que non seulement le Fils sait la difficulté de cette tâche mais qu’il connaît aussi sa valeur, qu’il nous confie au Père : « pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes » dit-il. Oui, il sait la difficulté parce qu’il connaît le cœur hésitant de ses amis ; mais il connaît aussi la valeur de cette vérité car lui est parfaitement uni au Père qui l’a envoyé. « Comme nous-mêmes… » : voilà bien la comparaison qui nous rappelle à quelle image nous sommes faits, à quoi nous sommes appelés « comme lui ». Oui, cette relation unique entre le Père et le Fils, nous sommes appelés à la découvrir ; et même plus, à y participer, avec tout ce qui fait notre humanité. Autrement dit, cette prière du Fils au Père vient nous placer précisément là, dans l’intimité de Dieu, au milieu de Dieu. Nous pouvons y entendre l’invitation à faire de nos vies de disciples, de nos vies mêlées, un langage nouveau pour témoigner de la Bonne Nouvelle, pour dire et pour vivre cet amour de Dieu : « Dieu est amour », nous dit Saint Jean. 

Et je finis en citant à nouveau quelques mots de Madeleine Delbrêl : « Jésus, partout, n’a cessé d’être envoyé. Nous ne pouvons pas faire que nous ne soyons, à chaque instant, les envoyés de Dieu au monde. Jésus en nous ne cesse pas d’être envoyé, au long de ce jour qui commence, à toute l’humanité, de notre temps, de tous les temps, de ma ville et du monde entier. » 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – jeudi 13 mai 2021, Ascension du Seigneur (Lc 1, 1-11 ; Mc 16, 15-20)

Dans le récit des Actes des apôtres, attribués à Luc, le dernier entretien des disciples avec Jésus se passe au cours d’un repas. Ce n’est pas anodin. Le repas partagé avec Jésus est ce lieu, ce moment où quelque chose de Dieu se donne à voir, à toucher, à goûter, à rencontrer. Le repas, c’est là où tout a commencé pour Jésus : souvenez-vous du premier miracle, à Cana en Galilée. Là où tout s’est noué : souvenez-vous du soir de la Cène, à Jérusalem. Là où tout s’est révélé : souvenez-vous de cette auberge près d’Emmaüs… Et aujourd’hui, à Saint-Fons comme à Feyzin, c’est encore un repas qui nous rassemble et auquel, vous les jeunes qui faites votre première communion, vous êtes conviés. 

Pour vous, comme pour chacun des membres de notre communauté, il nous aura fallu quarante jours pour nous préparer à cette fête de l’Ascension. Quarante jours depuis la résurrection de Jésus, ce n’est pas sans nous rappeler d’autres temps de quarante jours ou de quarante années… Quarante jours d’apparitions et de révélations. Quarante jours pour re-susciter en nous l’espérance et nous préparer à ce qui vient. Temps du repas, temps d’attente et de transformation, temps d’élévation, ce récit de Luc est donc hautement symbolique. Et nous retrouverons ainsi, dans l’évangile de Marc, ce qui donne sens à notre vie, pour nous qui marchons à la suite des premiers apôtres : l’envoi. 

« Allez, proclamez. » Mais les disciples, loin d’être directement « envoyés en mission » dans le récit de Luc, reçoivent l’ordre d’attendre : ils n’ont pas à prendre l’initiative de ce qui commence. Il leur faut en revanche se tenir prêts pour recevoir le Souffle qui les transformera et les enverra. Car lui seul peut les porter plus loin que les murs de Jérusalem, au-delà de la délivrance de la servitude romaine. Lui seul, l’Esprit du Fils assis à la droite du Père, peut les mener, peut nous mener réellement vers le Royaume. Lui seul peut nous porter et nous envoyer au monde. 

Si comme les apôtres nous sommes appelés à être les témoins, les acteurs du Royaume annoncé, sachons donc reconnaître que ce ne sera pas de notre propre fait, à cause de nos compétences ou de notre mérite, mais bien grâce au souffle, à l’élan donné par l’Esprit. Avec beaucoup d’humilité, sachons nous mettre sous la conduite de l’Esprit qui nous est promis. Humilité, cela n’a-t-il pas à voir avec l’humus, cette terre fertile, cette argile féconde dont nous sommes faits et qui prend vie par le Souffle de Dieu ? L’humilité des disciples du Christ est nécessaire, surtout dans ce temps que nous vivons où nous redécouvrons combien nous ne maîtrisons pas tout. 

Comment ne pas noter, également, que l’envoi par Jésus aujourd’hui s’adresse à une communauté. Oui, cette annonce est faite aux onze, à eux réunis, sans qu’apparaisse la moindre individualité. C’est ensemble, dans cette diversité unifiée, qu’ils porteront le vrai témoignage au monde. Pour notre communauté chrétienne, ici rassemblée dans une belle diversité d’âges, d’origines, de métiers, d’engagements sociaux, de forces et de fragilités, je trouve que cela peut nous inspirer. Nous savons combien chacun est attendu, combien chacun et chacune est appelé à se mettre au service de tous.  

En effet, si nous ne souhaitons pas rester attachés à ce qui s’en va, « les yeux fixés sur le ciel », nous sommes bel et bien appelés à considérer désormais ce qui vient et qui est devant nous. Oui, pourquoi rester là à regarder le ciel sinon pour essayer de voir passer Thomas Pesquet dans la Station Spatiale Internationale ? Pourquoi chercher ailleurs ce qui est en train d’advenir ici et maintenant ? Contemplons notre terre, regardons ces visages d’hommes et de femmes qui nous entourent. Une fois le repas partagé, c’est là que nous serons envoyés, ensemble, par l’Esprit pour témoigner dans toute la Création, « jusqu’aux extrémités de la terre ». 

Pour cette mission, nous ne serons pas seuls. L’Esprit, que nous fêterons bientôt à Pentecôte, nous est annoncé. Nous pouvons être rassurés. Si le Fils est assis à la droite du Père, il n’est pas pour autant absent de notre monde, il ne s’éloigne pas de nos vies. Si la nuée dont parle Luc le soustrait au regard des apôtres, ce n’est que pour mieux considérer désormais ce qui vient et qui est devant nous : le monde, dans lequel il nous appelle à témoigner. Jésus, par son ascension auprès du Père, n’a de cesse de « travailler avec nous » à la construction de son Royaume qui déjà se devine dans notre commune espérance. 

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 18 avril 2021, 3e dimanche de Pâques (Lc 24, 35-48)

Nous sommes toujours dans le temps pascal, dans le temps de la fête où la Bonne Nouvelle de Pâques, celle de la Résurrection, ne cesse de mettre la joie dans nos cœurs. Dimanche dernier, comme Thomas, nous avons pourtant redit notre incrédulité face à tout cela, et combien nous comptions sur la miséricorde de Dieu pour nous aider à croire que c’est bien à notre temps, à notre monde que cette Bonne Nouvelle est adressée. 

Aujourd’hui, c’est encore bien elle, cette Bonne Nouvelle qui se fait entendre dans le témoignage de ces disciples qui rentraient d’Emmaüs : le Seigneur ressuscité s’est fait reconnaître par eux à la fraction du pain ! Autrement dit, dans ce geste de partage, le Seigneur s’est donné à voir. Et c’est encore dans un partage, par leur témoignage, que le Seigneur de nouveau se rend présent, là, au milieu d’eux. C’est là que sa parole devient annonce de la paix. Etonnant donc que cette présence les trouble ! Effrayés, les disciples se réfugient dans l’imaginaire, dans un autre monde, celui des esprits. Mais il s’agit bien de notre monde, et il s’agit bien de Jésus, celui qu’ils ont suivi, celui qu’ils ont touché, celui qui se donne encore à voir et à toucher. Celui qui est ressuscité est bien là, devant eux. Ils n’osent pas encore y croire. 

« Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Jésus a faim. Ils lui remettent un morceau de poisson grillé, part de la nourriture déjà prête pour eux. Quoi de plus normal, pour ce corps empli de vie nouvelle, que de manger, que de partager la faim de ces hommes ? Lui qui se donne à nous, il a faim de ce qui vient de nous, comme il avait déjà soif de ce que la Samaritaine pouvait lui donner à boire au bord du puits. Il désire tant partager notre table ! Oui en ce geste, ce sont déjà les prémisses de notre communion avec lui, tel que nous le vivrons au cours de notre eucharistie. 

Et c’est ainsi, par Jésus ressuscité, présent parmi eux, que les disciples entrent dans l’intelligence des Ecritures. Ce n’est donc pas une expérience seulement intellectuelle, ni même spirituelle, mais corporelle, nous pourrions dire également incarnée. Ce faisant, Jésus incorpore les disciples à ce qui fait désormais son corps, à sa résurrection. Ils deviennent, nous devenons membres du corps du Christ, membres de son Eglise. Et c’est pourquoi le temps pascal est véritablement le temps de la joie des baptisés. 

Evidemment, nous sommes encore emplis de craintes, de doutes, d’angoisses pour ce qui est et ce qui vient. Nous aimerions tant que les choses soient différentes. Car si les événements du monde nous dépassent, si l’horizon n’est pas clair, comment avancer en confiance ? Comme les disciples d’Emmaüs, nous aurions bien envie de sortir, de courir vers nos compagnons, les retrouver, leur raconter, partager un repas… Nous aimerions si simplement vivre et témoigner de notre joie. Mais le confinement, les restrictions que nous connaissons, compliquent un peu les choses. 

Pourtant, que cela soit sur les routes d’Emmaüs ou dans le secret d’une maison confinée, nous croyons que le Ressuscité y est présent, c’est là qu’il est à rencontrer aujourd’hui. Pas dans un autre monde imaginaire ou regretté, mais dans notre monde. C’est là qu’il nous appelle à témoigner de notre foi et de notre espérance. Oui, Jésus, par sa vie, sa mort et sa résurrection, par ce qu’il révèle et accomplit de l’Ecriture, nous enracine là, dans le monde. Il nous met en lien avec l’aujourd’hui.

Pour ma part, c’est ainsi que j’ai présenté mes meilleurs voeux à mes amis musulmans pour cette période de Ramadan qui commençait mardi, que j’ai visité hier un ami hospitalisé pour dépression grave, que j’évoquerai jeudi prochain la Journée mondiale de la Terre avec mes collègues… Souvenez-vous dans le Psaume que nous avons entendu : « Beaucoup demandent : ‘Qui nous fera voir le bonheur ?’ » Et ce qui suit : « Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! » Oui, les occasions pour porter le visage du Ressuscité ne manquent pas, malgré nos masques. 

Et que dire de nos assemblées ? Sinon qu’elles nous sont une grande joie, chaque dimanche, lorsque nous nous retrouvons pour nous ouvrir ensemble à l’intelligence des Ecritures, pour partager la table de l’eucharistie. Oui, il est bon que nous prenions le temps de rendre grâce dans cette joie pascale qui finalement nous enverra ensemble pour témoigner et annoncer au monde, à la suite du Christ ressuscité : « La paix soit avec vous ! » 

 P. Guillaume ROUDIER 

Homélie du dimanche 3 avril 2021, jour de Pâques (Jn 20, 1-9)

C’est un nouveau jour. Un jour de plus, un jour qui semble bien ordinaire et qui commence comme tous les autres. Un jour qui, pour Marie Madeleine, débute sans Jésus. Oui, la veille, Jésus est mort sur la croix. Et toutes ces promesses de l’Ecriture, tout ce qui faisait la foi de cette femme, de ces femmes et de ces hommes qui le suivaient, tout cela semble donc avoir été vain. Leur espoir de voir le Roi des Juifs se lever contre l’oppression, la souffrance, le désespoir, tout cela semble mort avec Jésus. La haine et l’injustice, le mensonge et la peur semblent avoir eu le dernier mot. 

Marie Madeleine est bel et bien confrontée à la mort et au non-sens de tout cela. Voulant porter les soins rituels sur le corps de Jésus, voulant sûrement le toucher une dernière fois, elle retourne au tombeau pour embaumer son corps. Mais la pierre qui fermait le tombeau a été enlevée, et de même le corps de Jésus, lui aussi, a été enlevé. Au chagrin de la mort de Jésus se rajoute maintenant l’incompréhension. Le corps a été enlevé. 

C’est alors qu’une parole se fait entendre dans notre monde, un murmure, une question : « On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Voilà que ces quelques mots viennent tout changer. En courant vérifier par eux-mêmes, peut-être que Pierre et Jean commencent à se remémorer, et à comprendre, ce que Jésus leur avait annoncé : qu’il devait mourir pour ressusciter. Voilà que le témoignage de cette femme, ces quelques mots, cette course vers l’espoir, voilà que par eux tout commence. Et d’ailleurs, ce n’est pas sans nous rappeler un autre commencement, quand déjà une femme, Marie, la mère de Jésus, avait osé dire « oui ». Ici, Marie de Magdala, « apôtre des apôtres », est la première à courir, la première à ne pouvoir retenir pour elle ce qui est en train de se passer : l’espérance habite désormais notre terre. 

Oui, c’est maintenant que tout commence. Car la mort de Jésus sur la croix n’a jamais été annoncée comme un terme, mais comme un passage (pessah en hébreu signifie passage). Et sa résurrection n’est sûrement pas la fin de l’histoire, au contraire, c’est le début de notre histoire. Quelle chose extraordinaire ! Quel retournement ! Voilà qu’un simple matin, en Judée, vient tout changer. Un peu comme pour vous qui allez recevoir ce matin le baptême à Saint-Fons. C’est un jour d’apparence bien ordinaire et pourtant le reste de votre vie en sera transformé. Désormais, votre histoire va être toute entière orientée vers Jésus-Christ ressuscité ! C’est en lui que vous allez être baptisés. C’est lui qui vient demeurer en vous, et vous en lui. 

Mais alors que faire de la question de Marie Madeleine ? Où a-t-on déposé le corps du Seigneur ? Si Jésus n’est pas là, c’est qu’il est ailleurs ! Où le trouver ? Avec vous qui êtes baptisés ce matin, avec votre foi qui vient renouveler notre foi, il nous faut changer notre regard, cesser de le chercher là où nous le pensions mort pour découvrir que le Vivant nous attend ailleurs. Comme Marie Madeleine, comme Pierre et Jean, Jésus nous fait courir. Il nous envoie dans le monde pour voir, et pour croire, pour témoigner qu’en même temps que son tombeau, ce sont nos ténèbres qu’il a vaincus. En même temps que Jésus s’est levé, il nous appelle à le suivre, debout, en ressuscités ! 

Evidemment, dans les circonstances que nous connaissons, il est bien difficile de croire que les jours d’angoisse et de peine sont terminés. Il est difficile de quitter nos mines de Carême en restant confinés chez soi ! Comment croire qu’il serait là, présent sur le visage du plus jeune qui peine à rester à la maison alors que le soleil l’appelle à rejoindre les copains dehors ? Là, présent sur le visage du plus âgé qui peine à rester seul quand bien même il a été vacciné ? Là, présent sur le visage du plus malade qui peine à respirer dans sa chambre d’hôpital ? Là, présent sur le visage du travailleur qui peine à croire que son activité va perdurer ? 

Comment croire qu’il est présent sur tous ces visages ? Peut-être, comme vous qui allez être baptisés, sommes-nous invités à laver nos yeux, à changer notre regard et à parcourir ce jour, et l’horizon de tous ces jours à venir, pour y reconnaître le Ressuscité qui nous y attend. Oui, nous pourrions répondre à cette belle invitation du pape François quand il évoque ses souvenirs argentins et cette tradition pascale des grands-mères qui emmènent les enfants se laver les yeux pour qu’ils aient le regard du Christ ressuscité : « Ne vous lassez jamais de renouveler votre regard. Le regard ouvre à l’espérance » nous dit-il.  

Croire en Jésus ressuscité, c’est passer de la crainte à la confiance, vivre ce passage de la peur à la paix, de la fermeture à l’ouverture, de l’attendu à l’inattendu. Comment pourrions-nous croire sans changer notre regard sur le monde ? La résurrection de Jésus est un appel à nous mettre en marche dans ce monde, à le chercher, à le rejoindre sur nos routes humaines, là où il nous précède, en Galilée, au carrefour des nations. Peut-être ces jours devant nous, si incertains et si pesants, apparemment si ordinaires, vont-ils finalement révéler le mystère extraordinaire de Dieu parmi nous ? Car depuis ce petit matin en Judée, l’espérance nous est offerte et c’est cela la joie de Pâques !  

P. Guillaume ROUDIER

Homélie du Jeudi 1er avril 2021, Célébration de la Cène (Jn 13, 1-15)

Nous voilà à quelques heures de cette nuit si particulière que nous connaissons bien. Depuis la nuit de la crèche à Bethléem, le temps a passé mais le geste de Dieu envers notre humanité demeure le même : il nous signifie son amour. Étonnamment, au cours de ce repas dont nous célébrons le mémorial, Jésus ne va pas parler de « mort » mais de «passage ». Passage d’un lieu, « le monde », à quelqu’un, « son Père ». Evidemment, nous connaissons la suite du récit mais ce qui est à entendre dans ces quelques lignes ne se situe pas dans les prémices de la croix, mais au-delà : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jn). D’ailleurs en grec, ces mots ne désignent pas une fin, plutôt une direction : « il les aima vers le terme », c’est-à-dire dans le sens de ce qu’il est en train d’accomplir avec eux et pour eux depuis sa venue. Ce n’est pas un point final, mais un sens, une orientation. 

Et si on pense à ces nombreux repas partagés à travers les Evangiles, nous pourrions y trouver quelques similitudes, quelque chose qui a rapport au même envoi : Cana et le vin qui coule en abondance, la multiplication des pains sur la montagne, les repas avec les nombreux pharisiens autant qu’avec la multitude des pécheurs, avec les disciples de Jean Baptiste, la soirée passée avec Marthe et Marie… et j’en oublie. Que de temps passé à partager des moments simples avec ses amis, mais aussi avec ceux qui ne le comprennent pas ! A chaque fois, ce sont des gestes ordinaires qui viennent traduire la même présence d’amour de Dieu.  

Et maintenant ce dernier repas où nous ne faisons pas seulement mémoire d’un geste symbolique par lequel Jésus donnerait une leçon. Ce n’est pas seulement un geste rituel de purification préparant au repas. Le lavement des pieds est essentiellement un geste testamentaire, c’est-à-dire un geste de fondation. C’est un vrai geste, un geste de vérité. C’est peut-être ce que Pierre n’avait pas compris au début. Ce geste a un réel effet puisqu’il investit et institue réellement les apôtres en « disciples-missionnaires » comme dirait le pape François. Le lavement des pieds est un geste qui ouvre, qui nous ouvre aux autres et qui ouvre la table à la multitude. C’est un geste qui ouvre un horizon en nous orientant vers la promesse d’un accomplissement : « plus tard… » Or nous avons besoin d’horizon, surtout en ce moment. 

Face à cette heure cruciale, dans cette crise de doute des disciples, Jésus est dans une liberté totale. « Sachant que le Père lui a tout remis dans les mains », il revêt le tablier de serviteur. Il dépose ses vêtements et se ceint d’un linge pour laver les pieds de ses disciples. Il dépose ses vêtements comme le bon berger « dépose sa vie pour ses brebis » : ce n’est pas uniquement un abaissement, il s’agit aussi d’un embrassement. 

Bien sûr, nos pieds nous portent parfois là où nous ne souhaiterions pas aller. Nos pieds nous trahissent, et nous tournons nos talons, nous pouvons fuir notre engagement. Bien que lavés par le maître, les pieds de Judas se lèvent contre lui. Cela nous renvoie à notre propre liberté de « passer » du monde au Père, ou nous pourrions dire encore, de mon quotidien à mes frères. Pour avoir « part avec Jésus » il nous faut devenir un homme de passage. 

Oui, ce geste nous convoque, à notre tour, à nous mettre à hauteur d’homme, à nous agenouiller pour être à la hauteur de la vie des hommes et des femmes de notre temps dont le genou a fléchi à cause des supplices, de la souffrance, de la haine ou du désespoir : « afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Servir et prendre soin, sans humiliation mais humblement et dans ce même amour dont le Fils nous aime. 

Au cours de ce repas, dans ce geste du lavement des pieds, c’est l’Alliance qui s’accomplit. Et c’est pourquoi, à chaque fois que nous nous réunissons pour célébrer en communauté, que nous apportons du pain et du vin à la table commune, que nous revêtons à notre tour le tablier de « disciples-missionnaires » dans l’ordinaire des jours, nous rendons grâce pour cette alliance qui ouvre notre histoire et dans laquelle Dieu nous donne rendez-vous. C’est le temps de l’action de grâce, celui de l’eucharistie, et nous découvrons alors que la foi entre aussi par les pieds.

 P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 28 mars 2021, fêtes des Rameaux (Mc 11,1-10 ; 14,1-15,47)

Qui est-il ? Qui est cet homme qui entre dans la ville sainte de Jérusalem monté sur un âne ? Tous l’acclament en lui faisant un accueil digne d’un roi : les manteaux sont déposés par terre en guise de tapis d’honneur, les branches vertes de palmier sont agitées pour acclamer ce héros. Mais est-ce vraiment le roi qu’Israël attendait, le chef de guerre, le libérateur ? Nous pouvons nous interroger : un roi ne devrait-il pas plutôt monter un superbe étalon, accompagné de ses trophées de batailles ? Aucun trésor pris à l’ennemi, aucun esclave, nous ne trouvons ici que des cris de joie et d’espérance : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le règne qui vient… » 

Ce Jésus pourrait-il être finalement un imposteur ? Ce qui a été dit de lui jusqu’à présent, ce que la rumeur venant de Galilée prétend, tout cela est-il seulement vrai ? Les juifs attendent un glorieux libérateur, alors comment croire que cet homme monté sur une bête de somme pourrait les sauver ? Parmi ses disciples, certains disent qu’il est « le Prince de la paix ». Voilà de quoi surprendre et dérouter : celui qui amène la victoire de Dieu avancerait si humblement, sur un ânon ? Après les acclamations, ce sont les doutes qui vont bientôt se faire entendre ici et là. 

Pourtant, Jésus de Nazareth, le Galiléen, n’a pas cessé de nous surprendre. Depuis sa naissance dans une étable (où déjà un simple âne veillait sur lui), au long de la trentaine d’années passées au travail au côté de Joseph, et maintenant sur cet ânon, Jésus se rend présent à son temps en embrassant la condition des plus petits : « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Ph 2) Par ces mots, Saint Paul nous dit combien, par le Fils, Dieu s’abaisse, afin que nous soyons élevés. 

Alors que la Semaine sainte commence, nous pouvons nous interroger : quel accueil allons-nous lui réserver dans notre existence tempétueuse ? Allons-nous le reconnaître et l’acclamer quand il viendra, ou bien le rejeter et le condamner ? Sommes-nous capables de discerner les signes des temps annonçant sa présence parmi nous, même en cette période troublée, ou attendons-nous encore et encore un roi tel qu’il n’en existe pas dans le Royaume de Dieu ? Sommes-nous prêts à risquer notre foi et à y engager notre vie ? 

Ne l’oublions pas, Jésus va être trahi, livré aux insultes, abandonné par ceux qui se disaient ses compagnons, il va subir toute la haine et la violence humaine. Celles qui font mal, celles qui blessent, celles qui torturent et qui tuent. Connaissant tout l’amour et l’empathie de Jésus pour celles et ceux qu’il croise, nous pourrions dire qu’il va partager jusqu’au bout la souffrance de toute femme battue, de tout homme torturé, de tout enfant abusé, de tout vieillard abandonné, de tout étranger rejeté… Comme eux, son visage va être méconnaissable, défiguré par l’indifférence et le mépris. 

Et c’est précisément là que le visage de Dieu nous appelle, c’est là qu’il doit nous interpeller et nous faire réagir. Au pied de la croix, le centurion ne s’y trompera pas. Il est saisi par ce visage d’homme qui donne à voir Dieu. Lui le païen, lui par qui Jésus est mis en croix va être saisi par ce geste d’amour et d’abandon : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu. » Oui, la gloire de Jésus n’est pas dans un étalon ou dans les trophées de guerre, elle réside dans son humilité et sa confiance qu’il remet finalement entre les mains du Père. 

Les mois passés ont été difficiles, les mois à venir le seront encore, nous le savons. Mais plus que jamais nous devons tourner notre regard vers ce passage à venir, vers la Pâque du Christ qui se dresse devant nous. Il nous ouvre à la vie en Dieu, la vie humaine qui s’accomplit dans une même solidarité, dans un destin commun. Désormais, ce sont les plus petits, tous les oubliés de ce monde qui nous interpellent et nous obligent à changer notre regard, comme le centurion l’a fait. 

Il ne s’agit pas seulement de s’agiter et d’acclamer Jésus aujourd’hui avec nos rameaux mais, avec lui, jusqu’au bout, se faire frères et sœurs de la multitude. Le Bienheureux Charles de Foucauld dirait se faire « frère universel ». Madeleine Delbrêl dirait qu’en eux « c’est Dieu qui vient nous aimer ». Et comment oublier ces mots du Concile Vatican II nous invitant à partager « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps » ? 

A l’image de ce temps et de notre humanité, la foule qui accueille Jésus aux portes de Jérusalem est nombreuse, plurielle et changeante, traversée par des questions, des doutes, des tensions et des contradictions. En pleine crise de la Covid, cela nous parle alors que nous hésitons à faire confiance, à croire positivement en ce qui vient, à partager notre espérance… En tous cas Jésus, lui, hier comme aujourd’hui, accepte de se tenir là, présent humblement parmi nous. Il accepte de se laisser tout entier traverser, transpercer par notre humanité, de part en part. 

Nous l’avons entendu, Jésus vit la passion (la souffrance). Mais je dirai aussi qu’il accomplit sa passion pour notre humanité. Il va jusqu’au bout de sa passion pour nous en demeurant présent au milieu des tempêtes actuelles comme il était déjà présent, dans la barque, lors de la tempête sur la mer de Galilée : nous agités et craintifs, lui serein et confiant. Et si certains dévisagent déjà cet homme lors de son entrée à Jérusalem, lui, au contraire, n’a de cesse d’envisager, pour nous tous, un horizon de paix. Voilà qui il est, voilà qui est cet homme monté sur un ânon qui s’abaisse pour que nous soyons, par lui, élevés. Acclamons-le : Hosanna ! 

 P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 14 mars 2021, 4e dimanche de Carême : scrutins des catéchumènes (Jn 9, 1-41, texte de l’Année A)

Dans l’Ancien Testament, dans le livre de Samuel, nous pouvons lire : « Dieu ne regarde pas comme les hommes. » (Sam 16). Dieu ne regarde pas comme les hommes… Mais comment regardent les hommes ? Ils regardent sûrement mal. Sûrement, voyons-nous trouble à cause des filtres de l’argent, du pouvoir. Sûrement, portons-nous des œillères à cause de l’égoïsme et de la peur de l’autre. Sûrement, sommes-nous aveuglés par l’angoisse de ce que nous vivons depuis un an maintenant, aveuglés par le doute alors que l’avenir est incertain. Or, dans les moments sombres de notre temps, aux moments cruciaux de notre histoire, il nous faut réentendre la promesse de Dieu qui nous tend vers un horizon.

Souvenez-vous, au commencement, à partir de rien, d’un désordre complet, Dieu a façonné la vie avec de la terre et du souffle. Ici, dans ce récit de l’aveugle-né, nous retrouvons justement la terre et la salive. Et voilà que l’homme est à nouveau créé, une création nouvelle par le Fils, le Verbe de Dieu. L’homme nouvellement créé n’est pas une statue d’argile, immobile qui prend la poussière comme ces bibelots sur le rebord d’une étagère. Non, il est une création nouvelle, créé pour être envoyé dans le monde comme témoin de la Parole qui ouvre un « à-venir ». C’est bien le sens de cette invitation de Jésus à aller se laver à la piscine de Siloé, à oser accomplir cet acte rituel devant les hommes. Cet appel, nous le redécouvrons aujourd’hui grâce à vous Sébastien, Philippe, dans ce pas en avant que vous accomplissez vers votre baptême.

Car c’est là, précisément, que les mots de Saint Paul résonnent : « Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière… » (Ep 5) Nos yeux désespérés s’ouvrent et non seulement nous voyons mais bien plus nous découvrons que nous sommes porteurs de la lumière, porteur du Christ, porteurs d’avenir pour notre monde. C’est ce que le pape François affirme dans son encyclique Laudato Si’ repris par le CCFD en ce temps de carême : il nous invite « à aller plus loin et à bâtir avec d’autres le monde d’après ».

Si nous croyons en Jésus et en sa Bonne Nouvelle, véritable lumière, nous ne pouvons nous contenter d’être comme ces pharisiens qui croient tout savoir, mais finissent par loucher sur leurs certitudes en oubliant de s’ouvrir aux autres, et tout particulièrement aux plus petits et à ceux qui souffrent. Finalement, n’est-ce pas eux les véritables aveugles quand ils affirment que, si cet homme est né aveugle, c’est que lui ou ses parents ont péché ? Jésus l’affirme : la maladie et l’épreuve ne sont pas liées au péché, aux aléas de notre vie. Personne ne peut être accusé d’être à l’origine de la souffrance qu’il porte.

En revanche, nous pouvons nous interroger : comment vivons-nous cette épreuve, comment traversons-nous ce temps de crise ? En effet, si Jésus ne se focalise pas sur la maladie et son origine, il nous invite à nous porter solidaires des plus fragiles et partager ensemble une commune espérance. Oui, il nous invite à aller de l’avant en dépassant nos a priori et nos angoisses. Croire en Jésus, c’est chercher à voir le monde autrement, au-delà des masques. Nous croyons qu’en plongeant notre regard dans celui du Fils, il nous est donné la joie d’entrevoir quelque chose de la divine ressemblance de l’homme.

A la fin de ce passage, chez Saint Jean, Jésus parle d’un jugement qu’il est venu rendre. En grec, le terme serait plutôt « une remise en question » (krima). En ce temps d’épreuve pour notre monde, ne soyons pas aveuglés par nos peurs. Faisons tomber nos œillères (mais gardons nos masques !). Avec vous, Sébastien, Philippe, dans cette étape que vous vivez aujourd’hui, découvrons l’homme nouveau qui naît de la terre et de la bouche de Dieu. Portons un regard neuf, lavé, rincé, comme cet ancien aveugle qui désormais est envoyé pour témoigner du regard d’amour de Dieu.

« Dieu ne regarde pas comme les hommes » nous disait Samuel. Heureusement, les hommes sont invités à regarder comme Dieu. Et je termine en citant le pape François. En 2018, à la fin de sa visite à la maison d’arrêt romaine de Regina Coeli, il eut ces paroles en réponse à la salutation d’un détenu :

« Tu as parlé d’un nouveau regard, de renouveler le regard… Cela fait du bien, parce qu’à mon âge, par exemple, survient la cataracte, et l’on ne voit pas bien la réalité. C’est ce qui se passe avec l’âme : le travail de la vie, la fatigue, les erreurs, les désillusions obscurcissent le regard, le regard de l’âme. Et c’est pour cela que ce que tu as dit est vrai : profiter de chaque occasion pour renouveler son regard. Dans de nombreux villages de mon pays, quand on entend les cloches de la résurrection du Seigneur, les mamans, les grands-mères emmènent les enfants se laver les yeux pour qu’ils aient le regard de l’espérance du Christ ressuscité. Ne vous lassez jamais de renouveler votre regard. Le regard ouvre à l’espérance. »

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 28 février 2021, 2e dimanche de Carême (Mc 9, 2-10)

Nous avançons dans notre marche vers la lumière de Pâques et, déjà, cet épisode connu de la Transfiguration nous laisse entrapercevoir quelque chose du mystère pascal à venir. Juste avant, Jésus a accompli des guérisons, des libérations, des multiplications de pains… Autant de signes qui vont amener l’admiration des foules et la confession de Pierre : « Tu es le Christ. » Ce à quoi Jésus répondra par l’annonce de sa Passion et des épreuves qui attendent ceux qui marchent à sa suite. Et six jours après, selon Marc, nous voilà rendus au pied d’une haute montagne. Symbole, s’il en est, de la révélation. Souvenez-vous de ces nombreux rendez-vous entre Dieu et les prophètes sur les sommets de la Terre promise… 

C’est là, tout en haut, après l’effort d’une ascension, que Jésus est transfiguré devant les trois disciples qu’il avait appelés à le suivre. En grec, le mot est « métamorphosé », c’est-à-dire il change, il se transforme, il déploie ce qu’il est réellement. Jésus est là, et en même temps il n’est plus avec eux. C’est bien lui, et en même temps il est autre. Déjà, quelque chose de la vie nouvelle se laisse percevoir. Le changement est manifesté par la blancheur éclatante de ses vêtements qui sont pourtant ceux du fils d’un charpentier : « d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille » nous dit le texte. Ou si nous traduisons littéralement : « aucun foulon sur la terre ne peut ainsi blanchir ». C’est une manière de décrire ce qui est indescriptible, de nommer ce qui n’a pas de mot pour se dire. Cela étonne, cela surprend, cela plonge les trois témoins dans un état de sidération tel, qu’à posteriori, ils ne sauront dire exactement ce qu’ils ont vu. 

Et l’apparition de deux grandes figures de l’Alliance, Elie et Moïse, confirme cette étrangeté. Le passé rejoint alors le présent. Tout est réuni dans ce temps et ce lieu. Même si nous ne savons pas ce qu’ils échangent avec Jésus, il n’en reste pas moins la force de cette rencontre. Et c’est peut-être cela qui pousse Pierre à vouloir figer cette scène en dressant des tentes comme on prend une photographie. Mais non, ce n’est pas la fin, ce n’est pas le moment annoncé de l’accomplissement. D’ailleurs, les paroles qui vont retentir nous projettent en avant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Si ces mots font évidemment écho à ceux entendus au bord du Jourdain lors du baptême de Jésus (Mc 1, 11), ils nous demandent de tourner notre regard vers ce qui reste encore à vivre, devant nous. Ces paroles orientent Pierre, Jacques et Jean vers la suite. Elles invitent à la confiance, à l’espérance de ce qui reste encore à découvrir. Alors que les prochaines semaines s’annoncent incertaines dans la crise que nous vivons depuis un an, nous pouvons entendre à nouveau ces mots : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » 

L’appel de Dieu nous bouscule. Il en est ainsi dans la première lecture, dans le livre de la Genèse que nous avons entendu. Alors qu’il avait trouvé, somme toute, un semblant de joie et d’équilibre avec Isaac et Sarah, Abraham est appelé à faire confiance et à quitter ses certitudes comme il a su quitter la terre de ses ancêtres. Pourtant, comme Pierre, nous pouvons parfois être tentés de privilégier ce qui nous rassure, tentés de mettre la main sur Dieu en le plaçant dans « notre tente ». Autrement dit, nous pourrions être tentés de croire que nous connaissons déjà ce qui est à connaître du Seigneur. En ce temps de Carême, ce serait une erreur d’oublier que nos coeurs et nos regards sont à convertir et, si j’ose dire, à transformer, à métamorphoser. En assistant à cette scène, Pierre, Jacques et Jean découvrent bien plus que la Transfiguration de Jésus : c’est l’appel à la transfiguration de notre humanité qu’ils peuvent percevoir. Et c’est pour cela que le récit ne s’arrête pas là, en haut de la montagne, et que nous les retrouvons en bas, au milieu de leurs compagnons. C’est là qu’il leur sera donné de voir se transfigurer ces visages d’hommes, ces visages qui revêtent déjà, ici et maintenant, la lumière de Dieu. 

Du haut de la montagne du Seigneur jusqu’à la terre des hommes, il n’y aurait donc qu’une seule révélation, lorsque la lumière du monde se révèle dans le visage du Christ. Alors comme le CCFD nous y invite : « descendons de la montagne et apprenons à entendre le cri des pauvres et le cri de la terre. Un cri non pas désespéré mais travaillé par les appels du Ressuscité. » Et en ce temps de Carême, rendons grâce pour ce chemin de fraternité, pour ce pèlerinage sur la terre où notre humanité est déjà toute entière transfigurée. 

P. Guillaume ROUDIER  

Homélie – dimanche 21 février 2021, 1e dimanche de Carême (Mc 1, 12-15)

Chaque année, le premier dimanche de Carême, nous lisons le récit des Tentations chez l’un des trois évangélistes synoptiques. Cette année, nous le lisons dans Marc, c’est-à-dire dans la version la plus courte. Nous sommes au début de l’évangile. Jésus vient d’être baptisé. Il a vu le ciel s’ouvrir, l’Esprit descendre comme une colombe. Une voix venue du ciel a dit : « Tu es mon Fils Bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma joie. » Mais il est surprenant de constater que le premier effet du don de l’Esprit soit de le pousser vers des tentations ! 

Notez que ce récit ne détaille pas de quelles tentations il s’agit : est-ce la glorification de son nom, tel que Pierre le révélera quelques temps après ? La tentation du succès devant les nombreux miracles bientôt accomplis ? Celle de pouvoir échapper aux souffrances du don de sa vie ? Ou tout simplement celle de se laisser détourner de sa route ? 

En tous cas, il les traverse librement et après quarante jours au désert, Jésus proclame que « les temps sont accomplis » et que « le règne de Dieu est tout proche ». Voilà une quarantaine bien fructueuse et qui ne ressemble pas vraiment à celle que nous sommes parfois obligés de vivre dans ce temps de crise sanitaire. Qui, parmi celles et ceux contraints de s’isoler dans le désert de leur logement, coupés de leurs liens sociaux, pourraient dire « le règne de Dieu est tout proche » ? Si nous posons la question aux étudiants, par exemple, qui vivent si mal cette traversée de solitude, je pense qu’ils seraient tentés de répondre bien autre chose… 

Seulement voilà, Jésus, lui, s’en sort victorieux, ayant déjoué les pièges qui lui étaient tendus. Alors comment associer cet épisode à la réalité de notre temps, à la réalité de la vie de nos contemporains ? Peut-être en allant chercher des éléments de réponse du côté de Laudato Si’, cette encyclique du pape François parue en juin 2015. C’est ce que propose le CCFD-Terre Solidaire pour ce temps de Carême (je m’en suis librement inspiré pour ces quelques lignes). 

Si vous avez lu cette encyclique, vous vous souvenez sûrement de l’appel lancé par François : un appel à « sauvegarder notre Maison commune » ! Il ne s’agit pas de sauvegarder notre modèle économique « coûte que coûte » (!) – même si la préservation des emplois et des outils de production est nécessaire – il s’agit d’un projet bien plus audacieux et plus que jamais d’actualité. 

Les dérèglements climatiques qui provoquent régulièrement de nouvelles catastrophes et la dégradation de la biodiversité s’accentuent. Ils affectent toute notre planète et en particulier les populations les plus pauvres. Dans son texte, le pape François nous invite à une véritable « conversion écologique », un changement de cap radical dans nos modes de vies individuelles et notre action collective. 

Dans cette quarantaine de Carême qui s’ouvre devant nous, le CCFD nous invite donc à réfléchir à notre relation avec la Terre et à changer notre rapport avec la Création. Et il convoque pour cela une figure pour nous guider dans ce cheminement : celle de saint François d’Assise. Préoccupé des plus pauvres et des exclus et portant un grand amour à la Création, il avait à cœur de la protéger. Pour lui, les animaux comme les plantes, les éléments, les êtres humains sont des créatures de Dieu. La Terre est un bien commun à respecter et à partager. Pourquoi ne pas mettre nos pas dans les siens ?

Au paragraphe 91 de son encyclique, le pape écrit : « Ce n’est pas un hasard si dans l’hymne à la création où saint François loue Dieu pour ses créatures, il ajoute ceci : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour Toi ». Tout est lié, poursuit François. Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de la société. » 

À notre tour, avec le printemps qui déjà pointe son nez ici et là, prenons le temps d’admirer chaque élément de la Création, notre Terre et ses habitants, d’en contempler la beauté. Nous avons tous le souvenir d’une promenade en forêt, d’une randonnée en montagne, d’une escapade au bord d’un lac ou de la mer. Du fond de notre chambre étudiante comme de notre espace de télétravail, de notre appartement en ville comme depuis notre Carmel à la campagne, nous devons retrouver notre capacité à nous émerveiller devant la Création. Nous avons pris conscience depuis l’année dernière avec la crise que nous vivons combien ce lien avec la nature peut être crucial. Retrouver le lien avec la nature, c’est retrouver le lien avec soi, les autres et Dieu. Ce lien à la vie suscite en nous la joie. Nous pourrions même dire qu’il nous ressuscite. 

Et si dans ce passage d’évangile le Christ fait l’expérience que la Création semble le « servir », il ne tombe pas dans l’instrumentalisation de ce qui l’entoure. Le Maître demeure serviteur. Dès lors, avec Jésus, nous pourrions nous risquer à traverser à notre tour ce désert aride que peut être notre coeur lorsqu’il est asséché par notre manque de fraternité et l’absence d’humilité. Avec lui, ouvrons un nouveau chantier qui nous mènera à une solidarité nouvelle. 

Vous connaissez sûrement ce beau texte du Patriarche Athénagoras : 

« Il faut mener la guerre la plus dure contre soi-même. 

Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.

Mais maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur.

Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres.

Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.

J’accueille et je partage. 

Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets.

Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non pas meilleurs,

mais bons, j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif.

Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.

C’est pourquoi je n’ai plus peur.

Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.

Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre

au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors,

Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible. » 

Pas mal ! Pendant cette quarantaine de Carême, acceptons de lâcher prise sur ce que nous croyons posséder mais qui en réalité nous possède. Sachons redécouvrir cet horizon pascal qui déjà se dessine comme un arc-en-ciel révèle la fin de l’orage. Il est un signe offert à tous que c’est là, dans ce monde et dans ce temps, que s’accomplit l’espérance des hommes. 

P. Guillaume ROUDIER  

Homélie – dimanche 14 février 2021, 6e dimanche (Mc 1, 40-45)

Ce passage de l’Evangile nous est bien connu : Jésus guérit un lépreux. Ce miracle révèle la présence et l’action du Seigneur parmi nous. Mais risquons-nous à regarder d’un peu plus près encore les quelques lignes de ce récit. En effet, en accomplissant cette guérison Jésus ne montre pas seulement son autorité sur la maladie, il se révèle tel qu’il est, tel que Dieu est : miséricordieux.
Considérons tout d’abord cette maladie, la lèpre. C’est un fléau qui touche tout le monde, une maladie qui blesse le corps et l’âme, qui meurtrit et isole. A l’époque où le livre des Lévites a été écrit, elle fait éminemment peur et les bien-portants craignent la contagion. Ce serait trop facile de vouloir comparer la lèpre à la Covid. Pourtant, il y a bien quelques similitudes dans tout cela : pas tant dans la maladie que dans la manière dont nous pouvons réagir envers les autres et envers nous-mêmes. Oui, nous avons peur de tomber malade, peur de ces mois à venir encore incertains. On nous demande de rester distants et de nous isoler pour prendre soin des autres, et nous réalisons que nous avons besoin de lien et de contact pour aller bien…
Alors tentons de redécouvrir ce geste étonnant entre Jésus et le lépreux. Car c’est précisément là, dans cette humanité séparée, blessée et mise à mal que Jésus vient toucher l’homme. Celui qui avait été montré du doigt et écarté est rejoint par la main tendue de Jésus. Il en est purifié. Il n’est pas seulement guéri de la maladie, par ce geste il est réintégré dans la communauté des vivants.
En réalité, ce n’est pas tout à fait cela : étonnement, avant de toucher et de purifier le lépreux, Saint Marc note bien que Jésus se laisse lui-même toucher. Il est « saisi de compassion » avant de toucher à son tour. Littéralement en grec, il se laisse « toucher aux entrailles ». Les entrailles, ce lieu de la joie profonde lors de la visite de Marie à sa cousine Elisabeth. Les entrailles, ce que les plaies de la croix laisseront apparaître et qui révèleront combien Jésus partage jusqu’au bout toute notre humanité. Oui, dans la joie comme dans la souffrance, Jésus se tient là, avec nous. De ses entrailles à sa main, de sa main à la parole, Jésus est touché et il nous touche à son tour. C’est cela la miséricorde de Dieu, lorsque le Seigneur choisit de guérir ce lien brisé en nous et entre nous.
Dans la confiance, en cherchant à se rapprocher du Fils de Dieu, le lépreux redécouvre ce qui fait son humanité. Il en va de même pour nous, appelés à redécouvrir avec le Christ, chaque jour, ce qui fait de nous un peuple de frères au destin commun. Nous le savons, la résolution de la crise actuelle ne pourra se faire qu’à cette échelle, en redécouvrant malgré les masques et les distances sociales comment nous sommes tous appelés à une même solidarité.
Et le texte ne finit pas ainsi, il va encore plus loin. Jésus renvoie l’homme purifié et l’invite à « aller », c’est-à-dire à ne pas rester avec lui mais à aller vers d’autres pour témoigner. Il ne s’agira pas de proclamer haut et fort ce qui s’est passé pour lui. En revanche, dans le respect des règles de son temps, cet homme est invité à témoigner auprès des savants, des sachants, des bien-pensants, ceux et celles qui font autorité. En allant au Temple, celui qui a été touché par Dieu est envoyé pour que d’autres se laissent toucher à leur tour. C’est ainsi que cet homme revêt sa tenue de « disciple-missionnaire » comme le nommerait le pape François. Le voilà engagé sur un chemin d’avenir avec d’autres.
C’est à cela qu’on reconnaîtra ce que le Christ a accompli en lui. Précisément à cette manière d’être solidaire, renouvelé – nous pourrions dire aussi ressuscité – au milieu de ses contemporains. Certes, la joie de l’homme nouveau l’emporte et le déborde parfois. Nous sommes bien rassemblés pour cela aujourd’hui, pour dire notre joie d’accueillir le Christ en nos vies, mais ne nous arrêtons surtout pas à cela. Comme celui qui a été purifié dans l’Evangile, nous sommes invités à « aller », à aller vers nos proches, nos voisins, nos collègues. Puisque ce qui fait notre humanité est abimée par la maladie, avec confiance, cherchons à rencontrer celui qui est venu pour partager nos moments de joie et entendre nos cris de peine. Nous le croyons, il se laisse toucher et, à son tour, nous touchera pour transformer en nous nos peurs en espérance.
 
P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 31 janvier 2021, 4e dimanche (Mc 1, 21-28) 

Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm. Capharnaüm, ville à la croisée des routes humaines, en Galilée. Ville où tout s’agite, où les rues sont bruyantes et résonnent de langues étrangères, où les étals des marchands présentent pêle-mêle des tissus orientaux et de la nourriture exotique… Dans cette ville, il y a une synagogue, « la maison de l’assemblée », le lieu où cette multitude se rassemble. C’est le lieu où le peuple fait unité dans sa diversité. Là, un homme qui a grandi à proximité, Jésus, enseigne. C’est le début de sa vie publique et déjà il enseigne avec autorité. 

En effet, Jésus est dépositaire de l’autorité morale et spirituelle qui lui vient de Dieu son Père. Mais pas seulement : à bien y regarder, par autorité on entend également le sens étymologique de celui qui guide et agit pour le bien des autres. Autrement dit, Jésus ne dispose pas d’un pouvoir sur les autres, il ne manipule pas les foules et ne revendique aucune autorité politique. Au contraire, il rend libre ceux qui viennent l’écouter. Nous pourrions dire que la parole de Jésus conduit à la liberté et ouvre un champ des possibles. Nous sommes loin des accusations qui planeront bientôt sur Jésus, lancées par ses détracteurs qui voyaient en lui une menace pour leur propre pouvoir. 

C’est bien cela dont il est question dans l’épisode de l’évangile que nous lisons aujourd’hui : celui qui était possédé par un esprit impur, qui n’était plus maître de lui-même, est libéré. Jésus fait taire en nous ce qui nous entrave et nous empêche de le suivre comme des hommes et des femmes libres. Oui, nous sommes tout à la fois empêchés mais aussi « en péché ». Jésus nous libère. Voilà ce que Jésus accomplit en notre vie alors que nous nous laissons parfois asservir par de faux dieux comme l’égoïsme, l’argent, la mondanité ou la satisfaction personnelle, autant de combats spirituels et humains qui sont à mener avec le Christ à nos côtés. Saint Paul aussi, à sa manière, dans sa lettre aux Corinthiens, nous invite à nous libérer de tout ce qui remplit sans nous combler. Forcément, cela surprend les contemporains de Jésus et, je le crois, ne doit pas cesser de nous surprendre, c’est-à-dire de nous réveiller de nos endormissements spirituels et nous bousculer dans nos endurcissements du coeur. 

Je crois que c’est finalement cela « une parole prophétique » : c’est une parole qui nous permet de lever les yeux prisonniers du temps présent et de porter plus loin notre regard. C’est une parole qui engage et qui appelle à faire confiance. Nous en avons bien besoin dans ces semaines que nous traversons, empêtrés par ce virus qui nous tourmente autant que l’homme de l’évangile peut l’être. 

Dans ce qui est aujourd’hui notre Galilée, dans notre monde globalisé où ce qui se passe à l’orient a des répercussions à l’occident, faisons place au Christ. Avec lui, travaillons sans cesse à l’unité et à la fraternité. Soyons des porteurs de sa Bonne Nouvelle, soyons des prophètes pour notre temps, porteurs de paroles qui réconfortent et qui ouvrent à une solidarité renouvelée. Avec le Christ, apaisons les coeurs qui ont besoin d’être consolés, témoignons de notre espérance là où le mal-être submerge les coeurs. Ne cédons pas aux esprits impurs de la peur, du doute ou du désespoir. Que notre parole soit vraie, sincère et ajustée à la crise que nous vivons. Le Psalmiste nous le rappelle : « Ne fermez pas votre coeur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi.» 

Fions-nous à Jésus qui lui-même renonça aux tentations du pouvoir pour préférer le service et le don de soi. Soyons des prophètes ne négligeant rien de la dureté de l’épreuve, reconnaissant ceux mobilisés chaque jour contre le virus, offrant le soutien moral et spirituel, matériel aussi, à ceux qui en ont le plus besoin : les plus isolés, les plus jeunes comme les plus âgés, les plus démunis. Et redisons avec Saint Paul : « Frères, soeurs, j’aimerais vous voir libres de tout souci. » 

 P. Guillaume ROUDIER 

Homélie – dimanche 24 janvier 2021, 3e dimanche (Mc 1, 14-20)

« Les temps sont accomplis. » C’est ainsi que Jésus commence l’annonce de son évangile chez Marc. Par ces quelques mots, il vient donner à notre histoire tout son sens et, à notre présent, toute sa valeur. Pour cet homme Jésus, le Galiléen, c’est le moment de la conversion. Ce n’est pas sans nous rappeler le message que Jonas porte à la grande ville de Ninive. A ceci près que ce n’est pas une destruction qui est ici mise en perspective, mais le Royaume de Dieu. Ce n’est plus une menace de mort, c’est une promesse d’avenir. 

Pour y parvenir, Jésus nous demande de changer nos coeurs et de croire à la parole qu’il porte, à cette « Bonne Nouvelle » pour notre monde. Nous ne sommes pas encore dans le temps du carême mais déjà la conversion, le retournement de nos vies, serait donc à opérer. En effet, si la préparation de Pâques nous invitera à une sincère introspection, nous devons sans attendre placer au coeur de notre vie, et chaque jour un peu plus, la parole de cet homme marchant le long de la mer de Galilée : cette parole est Parole de Dieu. 

Les rives du lac de Galilée évoquent la vie quotidienne marquée par le travail, la vie de famille, les rencontres… C’est précisément là que Jésus choisit de rejoindre des pêcheurs pour les appeler à le suivre :  « Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes ». Et sans attendre, « aussitôt, ils le suivirent ». Hier comme aujourd’hui, l’appel de Jésus, le compagnonnage du Christ nous oblige et nous presse. Nous le voyons bien depuis un an, notre monde ne peut pas attendre. Il a besoin d’une parole de vie porteuse d’espérance. Nos frères et soeurs en humanité espèrent autre chose que des statistiques quotidiennes des nouvelles contaminations. Ils aspirent à autre chose qu’un redouté nouveau confinement. Evidemment, comme chrétiens nous sommes solidaires des tristesses et des angoisses de notre temps et nous n’ignorons rien des combats acharnés des soignants et de toutes celles et ceux mobilisés au quotidien pour lutter contre la COVID. Nous sommes solidaires et nous prenons la mesure de la responsabilité de chacun. 

Simon et André, Jacques et Jean : ils sont quatre dans ce passage de Marc à être appelés. Il y a ceux qui sont en train de pêcher et ceux qui réparent leurs filets. Pour les uns comme pour les autres, il s’agit de croire que cette parole entendue un jour d’apparence ordinaire est une parole qui va définitivement tout changer dans leur vie. Oui, la Parole de Dieu a choisi de se dire, de s’exprimer avec des mots humains. Dans le passé, elle a choisi les prophètes, les disciples, les évangélistes. Désormais, c’est à nous que la Parole de Dieu s’adresse. Nous faisons partie de cette même histoire. Cela nous montre bien comment la Parole demeure vivante au coeur de la vie humaine. En ce dimanche consacré à la Parole de Dieu, fête souhaitée par le pape François, nous pouvons nous réjouir de la fécondité de la Parole dans nos vies, et à travers la vie des autres. Elle nous révèle combien l’Esprit du Seigneur souffle et inspire tant d’hommes et de femmes de bonne volonté. Cette Parole vivante, c’est le Christ lui-même, le Verbe qui s’est fait chair et qui habite parmi nous. Nous ne devons pas nous lasser de contempler ainsi le Dieu vivant. 

Lire et écouter, méditer et prier les Ecritures, c’est y nourrir notre foi, y puiser de l’espérance et encourager notre charité. Comme la tradition protestante nous y invite (et d’autant plus au terme de cette semaine de prière commune pour l’unité des chrétiens), la Bible nous façonne, elle nous transforme, elle nous envoie. Seulement, accepter de suivre Jésus comme ces pêcheurs de Galilée, c’est reconnaître humblement que c’est lui qui nous choisit, c’est lui qui nous appelle à marcher avec lui en laissant de côté filets et attaches : « Car il passe, ce monde tel que nous le voyons ». Et pourtant il est bien notre monde. Effectivement, il ne s’agit pas de renoncer à tout et nous détourner de notre histoire. Ce serait une mauvaise lecture de la lettre de Paul aux Corinthiens. Au contraire, il s’agit de discerner les signes des temps au coeur même de ce qui fait notre vie. Là, reconnaître ce qui est vraiment essentiel et, finalement, choisir de suivre Jésus sur les chemins du monde au service de nos frères et soeurs. 

Ce temps de crise qui n’en finit pas nous y ramène sans cesse. Combien de personnes âgées isolées, d’étudiants esseulés, crient leur solitude et leur souffrance ? Combien de professionnels et d’entreprises en difficulté appellent à l’aide ? Dès lors, comment trouver les mots justes pour accompagner, réconforter, consoler ? Si les disciples sont appelés par Jésus, s’ils reçoivent leur mission d’un autre qui vient convertir leur coeur, nous aussi, aujourd’hui, nous avons à recevoir de Jésus l’appel à le rejoindre sur les routes humaines. Nous devons encore et encore travailler à la justesse de l’attitude chrétienne pour rendre audible sa parole. C’est ainsi, dans cette vie ordinaire aujourd’hui malmenée, que l’Evangile deviendra alors « Bonne Nouvelle » pour notre monde.

P. Guillaume Roudier

« La parole de Dieu, on ne l’emporte pas au bout du monde dans une mallette : on la porte en soi, on l’emporte en soi.

On ne la met pas dans un coin de soi-même, dans sa mémoire comme sur une étagère d’armoire ou on l’aurait rangée. On la laisse aller jusqu’au fond de soi, jusqu’à ce gond où pivote tout nous-même.

On ne peut pas être missionnaire sans avoir fait en soi cet accueil franc, large, cordial à la parole de Dieu, à l’Évangile.

Cette parole, sa tendance vivante, elle est de se faire chair, de se faire chair en nous.

Et quand nous sommes ainsi habités par elle, nous devenons aptes à être missionnaires. (…)

Une fois que nous avons connu la parole de Dieu, nous n’avons pas le droit de ne pas la recevoir ; une fois que nous l’avons reçue, nous n’avons pas le droit de ne pas la laisser s’incarner en nous, une fois qu’elle s’est incarnée en nous, nous n’avons pas le droit de la garder pour nous : nous appartenons dès lors à ceux qui l’attendent. »

Madeleine Delbrêl, Nous autres gens des rues 

Homélie – dimanche 27 décembre 2020, Sainte Famille, Année B (Lc 2, 22-40)

Quels parents ne se réjouissent pas en annonçant à leurs proches la naissance d’un enfant ? A l’époque de Jésus, la nouvelle se répandait de maison en maison dans le voisinage. Désormais, les jeunes parents font plus facilement une photo avec leur smartphone et partagent la nouvelle via Facebook ou Instagram, quelques-uns envoient encore des faire-part de naissance… Pourtant, hier comme aujourd’hui, il s’agit bien d’un même élan de joie, comme une vague qui ne peut être retenue. Une joie qu’ils veulent voir éclater au grand jour, à la face du monde. Une joie universelle. Pour Joseph et Marie, cette joie va les conduire au Temple afin de présenter l’enfant et de le consacrer au Seigneur comme il était alors coutume de le faire pour un premier fils.

Pour nous qui réentendons ce récit ce matin, cet épisode au Temple n’est pas qu’un acte rituel, c’est l’incarnation du Fils qui continue de se réaliser. En effet, le Fils de l’Homme ne naît pas hors sol, mais sur une terre avec sa culture et ses coutumes. Par leur parentalité, Marie et de Joseph enracinent cet enfant dans la longue histoire du peuple hébreu. Pourtant, avec un peu d’audace, nous pourrions dire que Marie et Joseph ne représentent pas la famille traditionnelle, il y a quelque chose d’assez original dans cette famille : un mariage qui a failli ne pas se faire, avec une femme enceinte avant l’heure, un Père (au Ciel) qu’on ne voit jamais… En tous cas, cet enfant qui vient de naître, ils le reçoivent comme il est, et l’aiment comme jamais.

Oui, les parents regardent leur enfant nouveau-né avec les mêmes yeux que Dieu pose sur notre humanité, en Père aimant. Marie et Joseph n’échappent pas à cette tendresse devant l’enfant. Mais, malgré les annonces angéliques que l’un et l’autre ont reçues, la bénédiction du vieux Syméon va les étonner. Comme si, avant cette rencontre, Marie et Joseph n’avaient pas encore tout à fait compris qui était cet enfant, et quelle serait sa place parmi nous.

Alors, dans sa sagesse toute humaine et dans sa foi en Dieu, Syméon révèle aux jeunes parents, et à nous, que cet enfant est : « la lumière qui se révèle aux nations et donne gloire au peuple d’Israël. » Voilà donc une parole de reconnaissance au sujet de cet enfant qui est dite par quelqu’un d’autre. Ce faisant, cet enfant n’est plus uniquement dans le vis-à-vis avec ses parents, déjà c’est un monde entier qui s’offre à lui, et d’autres paroles se feront bientôt entendre. Souvenons-nous de ces réponses attendues par Jésus devant les disciples : « Et vous, que dîtes-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »

Syméon et Anne, femme prophète écoutée et respectée, répondent déjà par anticipation, ils répondent en ayant cru et en ayant vu. Ils sont désormais comblés car ils se souviennent de la promesse faite à Abraham dans sa détresse : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » C’est la promesse qu’un peuple innombrable, qu’une multitude d’hommes et de femmes aussi nombreuse que les étoiles ou que les grains de sable sur les bords de la mer, qu’une multitude sera invitée à vivre dans ce même amour de Dieu. En accueillant cet enfant dans leurs bras, c’est toute l’humanité qui se révèle désormais illuminée par l’amour. Voilà ce qui provoque chez eux cette profonde paix intérieure.

De la multitude d’étoiles à la multitude du repas pascal pour laquelle il se donnera (« pour vous et pour la multitude »), des colombes sacrifiées ce jour-là au Temple à la croix à venir où le Christ lui-même sera sacrifié, voilà que l’histoire humaine toute entière est orientée dans le sacrifice d’amour. Et si Abraham ne savait pas où il allait alors qu’il avançait au désert, nous croyons, depuis cette sainte nuit de Noël, que nous pouvons nous aussi avancer dans ce monde en crises en suivant la lumière de Bethléem. Dans la confiance, nous sommes guidés par l’amour de Dieu pour que, à notre tour, nous aimions.

Cette lumière qui se révèle aux nations, c’est-à-dire à une multitude de peuples aux traditions différentes, aux croyances hétérogènes, aux modèles familiaux parfois nouveaux, met en valeur la belle diversité de notre humanité. Cette lumière réveille notre espérance et attise notre fraternité. Avec Syméon et Anne, réjouissons-nous et rendons grâce : celui qu’ils ont attendu, celui qu’ils cherchaient, ils l’ont trouvé. Nous qui recevons ce récit aujourd’hui, nous qui sommes chercheurs de Dieu, qui « recherchons sans trêve sa face » comme le dit le Psalmiste, rendons-nous disponibles pour sans cesse agrandir non seulement notre famille, mais encore toute la famille humaine. Evitons à nos communautés, à notre Eglise et à nos pays le repli sur soi. Renonçons à la peur de l’autre et choisissons, comme Anne, de parler de cet amour à tous ceux qui le cherchent et qui en ont tant besoin.

P. Guillaume ROUDIER

Homélie dimanche 25 décembre 2020, Nativité du Seigneur, Année B (Jn 1,1-18)

« Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Par ses premiers mots de Saint Jean, tout le mystère de notre foi se donne à découvrir en ce matin de Noël. Oui, en Jésus, en cet enfant qui vient de naître, nous trouvons ce que l’auteur de la lettre aux hébreux nomme : « l’expression parfaite de l’être de Dieu » (He 1, 1-6)). 

Mais en cet extraordinaire matin de Noël, ce n’est pas seulement Dieu qui se découvre, car en prenant visage d’homme, Dieu vient élever l’humanité toute entière dans sa divinité. Oui, de manière admirable, et si simplement, le petit enfant qui vient de naître donne sens à notre existence et nous attire à Dieu, comme les bergers sont attirés vers cette si simple mangeoire. Lui, le tout petit, il vient nous révéler l’amour de Dieu pour les Hommes, il vient partager notre humanité, il vient participer pleinement, entièrement à notre histoire pour y révéler ce à quoi nous sommes appelés. 

Noël est une grande joie. Nous fêtons le début de l’histoire intimement mêlée de Dieu et des Hommes. Nous nous rappelons que Dieu a choisi, et choisit chaque jour, de mêler son amour à nos vies. Il mêle son histoire à notre histoire pour n’en faire plus qu’une : l’histoire du salut. 

C’est une belle histoire. Une très belle histoire mais qui ne se raconte pas comme on raconterait une histoire pour s’endormir, un conte ou des souvenirs passés. C’est un récit qui se vit chaque jour de manière nouvelle, une aventure vivante qui nous réveille et nous appelle à vivre. Oui, chaque jour de nos vies, c’est Noël. Car ce qui est arrivé dans cette nuit extraordinaire de Palestine se vit encore aujourd’hui dans notre quotidien d’apparence si ordinaire. 

En effet, les mots d’amour que Dieu utilise pour faire naître à la vie toute chose, pour faire exister le monde et mettre nos vies en chemin, continuent de résonner dans notre monde. Cependant, ces mots d’amour sont parois couverts par le fracas des armes, par le sifflement de nos médisances, ou même par le silence de notre inaction. Cette année, les ténèbres ont semblent-ils tenter de recouvrir notre monde sous la forme d’une pandémie. Mais la vie, l’espérance et la solidarité resteront. L’amour ne passera pas. Il nous guidera encore pour cette année à venir. 

Comme les cris de cet enfant dans la campagne de Bethléem, la Parole de Dieu ne cesse de se faire entendre dans notre humanité. Sachons l’écouter. Malgré nos limites, malgré nos fragilités, sachons entendre les cris de notre temps, les doutes et les peurs de nos contemporains. Sachons, aussi, reconnaître la douceur de cette présence parmi nous lorsque elle inspire un simple geste de fraternité et d’entraide. Chaque jour est un jour nouveau où l’enfant Jésus se révèle parmi nous. 

« Un jour nouveau commence, Dieu en moi veut le vivre. » Avec ces mots de Madeleine Delbrêl, poétesse et mystique, nous pouvons faire de nos vies autant de crèches prêtes à accueillir l’amour de Dieu, nous pouvons devenir ces bergers d’aujourd’hui prêts à parcourir le monde pour partager cette grande joie. 

C’est pourquoi la fête de Noël est pour nous non seulement une belle occasion de nous réjouir, mais aussi l’occasion de revisiter notre vie quotidienne, notre propre incarnation, notre propre humanité à laquelle Dieu vient se mêler. C’est bien celle-ci que Dieu a choisi pour se dire et se révéler. Si on y réfléchit bien, depuis les prophètes jusqu’à Jean le Baptiste, depuis les premiers apôtres jusqu’à nous aujourd’hui, il n’y a pas de Parole de Dieu qui ne trouve des mots d’homme pour se dire. La preuve : cet enfant, « ce petit d’homme ». Il est celui par qui tout vient à l’existence, il est le Verbe de Dieu, celui de la Création, la lumière de la Genèse, il est celui qui donne sens et configure toute notre existence. Cet enfant est celui qui nous appelle à devenir des porteurs d’espérance, des créateurs d’avenir et des bâtisseurs d’une Terre plus belle où tous les hommes sont appelés à vivre dignement en frères. Là est la véritable joie de Noël. Celle qui déjà se dessine pour l’année à venir dans des naissances annoncées, des mariages à célébrer, des retrouvailles à fêter, des solidarités à inventer… 

Malgré les ténèbres de nos vies, malgré la crise sanitaire, sociale et économique que nous vivons, en ce jour de Noël, nous découvrons que Dieu croit en notre humanité. Il nous reste, nous aussi, à croire en celui qui vient à nous, en notre prochain, autant que nous pouvons croire en Dieu. Alors la lumière brillera sur notre monde. Joyeux Noël à tous !

P. Guillaume ROUDIER

Homélie jeudi 24 décembre 2020 – Nativité du Seigneur (Lc 2,1-14)

Ce soir, encore une fois, nous pouvons nous laisser surprendre par ce récit qui nous semble pourtant si familier. En effet, ce que nous venons d’entendre ne doit cesser de nous émerveiller. Souvenez-vous, au début de ce récit : « En ces jours-là parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie ». 

Cette histoire ne commence pas par « il était une fois ». Luc ne nous raconte pas un conte merveilleux pour nous endormir… Non, Luc nous rapporte ce qui s’est réellement passé sur la terre des hommes, en un temps, en un lieu : il y a de 2 000 ans, en Palestine. Et c’est cela qui, ce soir, nous rassemble. La nuit de Noël est unique. C’est la nuit où le temps des hommes et le temps de Dieu se mêlent dans une même histoire, définitivement. 

« Un enfant nous est donné ». Par ces mots le prophète Isaïe annonçait déjà la venue du Sauveur. Mais dans le temps de Noël, nous ne sommes plus dans le temps de l’attente, le temps de la promesse, nous avons désormais à nous réjouir car la lumière et la paix sont venues à nous et elles ont maintenant un visage : celui d’un enfant, l’Emmanuel c’est-à-dire « Dieu avec nous », Dieu dans notre histoire. Etonnement, Dieu choisit ce qu’il y a de plus petit, de plus fragile en notre humanité pour venir nous rencontrer et se révéler : un enfant. 

Les parents (les grands-parents) le savent bien, ils savent reconnaître dans les yeux des enfants le signe d’un avenir donné, le visage de l’espérance. Oui par son Fils, Dieu nous sauve du non-sens et nous fait le don de l’espérance. Il fait ce don à tous les hommes, sans exception. Bien sûr, petits et grands, nous aimons entendre de belles histoires pour nous faire rêver et nous faire voyager dans des pays imaginaires, dans d’autres galaxies lointaines, là où les virus n’existeraient pas.  Mais l’enfant de la crèche que nous célébrons en cette nuit de Noël n’est pas imaginaire ; cela s’est réellement passé. Et cela se passe encore, ici et maintenant : Dieu vient, Il est venu, Il est là, présent parmi nous. 

Mais voilà, la COVID est passée par là et avec elle les crises sanitaires, sociales, familiales et économiques. L’année qui se termine aura bousculé nos certitudes, celles qui nous paraissaient bien solides : la science toute puissante, une économie florissante, la consommation comme source du bonheur ; et l’idée que nos pays riches s’en tireraient toujours mieux que d’autres… Alors comment vivre la joie et l’espérance de Noël dans un pareil contexte ? Après tant de deuils, tant de précarités qui se creusent toujours plus, tant de conflits mondiaux encore irrésolus, où trouver la joie de Noël ? Peut-être tout simplement en ayant redécouvert ce qui est essentiel, dans le sourire des yeux au-dessus des masques, dans ces milliers de bénévoles mobilisés en soutien des plus touchés ? Là où la créativité a permis de nouvelles solidarités… Peut-être, aussi, comme le message de la Mission Ouvrière cette année nous y invite, en reconnaissant ces nouveaux héros du quotidien : les soignants, les balayeurs, les transporteurs, les pompiers, les caissières, les policiers, les livreurs, les agriculteurs, les routiers, les aides à domicile, les enseignants… une multitude de héros. Nous sommes peut-être loin de Superman, mais nous ne sommes pas très loin de Jésus. 

Oui, au-delà de toute appartenance religieuse, ces femmes et ces hommes ont su prendre soin de nous, prendre soin de leur prochain. Leurs gestes expriment le service des autres, et souvent la tendresse, pour que reprennent force celles et ceux qui se sentent abandonnés. Comme Jésus, ils nous montrent que l’amour des autres nous pousse à aller plus loin que la peur et à croire en ce qui vient. Les invisibles deviennent alors visibles. Quel beau témoignage ! 

En cette nuit de Noël, Dieu naît, pauvre et nu, vulnérable, dans une mangeoire à Bethléem, c’est-à-dire « la maison du pain ». Au cours de sa vie, Jésus nous émerveille sans cesse par sa capacité à rencontrer l’autre, sans tabou, sans a priori : les Pharisiens, les pêcheurs, la Samaritaine, le légionnaire romain, etc. Ce souci de l’autre est inscrit au cœur de notre foi. Alors même si toutes les portes ont été fermées en cette nuit de Galilée, même si Joseph et Marie n’ont pas su où s’abriter, nous, nous pouvons tout faire aujourd’hui pour ouvrir nos portes et nos cœurs à ces hommes et à ces femmes que Dieu nous donne chaque jour à aimer. Et en premier lieu les plus petits, les plus fragiles, ceux qui, comme cet enfant dans la mangeoire, sont « sur la paille ». Ce sont eux à qui les anges annoncent la Bonne Nouvelle en premiers, les bergers de l’Evangile : les sans-nom, les sans-toit, les sans-papiers, les sans-emploi… Ce sont eux, qui, comme Joseph et Marie, se retrouvent devant des portes closes. Alors ouvrons nos coeurs, faisons-leur de la place, car voilà l’occasion de nous réjouir ensemble, l’occasion de vivre de cet amour qui n’a de valeur que s’il se partage. 

Encore une fois, ceci n’est pas simplement une « belle histoire » que nous entendons ce soir, c’est l’histoire de chacun d’entre nous à laquelle Dieu vient se mêler ; c’est l’histoire de toute l’humanité. Dieu partage aujourd’hui nos vies, ce faisant il nous fait porteurs d’espérance, créateurs d’avenir et bâtisseurs d’une Terre plus belle où tous les hommes sont appelés à vivre dignement en frères. Là est la véritable joie de Noël. Celle qui déjà se dessine pour l’année à venir dans des naissances annoncées, des mariages à célébrer, des retrouvailles à fêter, des solidarités à inventer… 

Devant les membres de la Curie, lieu de pouvoir et de responsabilité dans l’Eglise, le Pape François a invité ces jours-ci ses collaborateurs à une réelle conversion. Face au risque que l’Eglise soit centrée sur elle-même, François privilégie un autre chemin, celui de Saint Paul : évitant « amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes » (Ep 4, 31-32), et privilégiant la générosité, la tendresse, le pardon réciproque et l’humilité. 

Madeleine Delbrêl, assistante sociale et mystique ayant vécu en banlieue parisienne auprès des plus pauvres, écrivait : « Un jour de plus commence, Jésus en moi veut le vivre. Il ne s’est pas enfermé, il a marché parmi les hommes. Avec moi il est parmi les hommes d’aujourd’hui. Il va rencontrer chacun de ceux qui entreront dans la maison, chacun de ceux que je croiserai dans la rue. (…) A travers les proches frères qu’il nous fera servir, aimer, sauver, des vagues de sa charité partiront jusqu’au bout du monde, iront jusqu’à la fin des temps. Béni soit ce nouveau jour, qui est Noël pour la terre, puisqu’en moi Jésus veut le vivre encore. »

Alors, en cette nuit de Noël, comme François, comme Madeleine Delbrêl, osons à notre tour devenir des « porteurs de Dieu », des porteurs de la lumière de Noël. Avec Jésus, osons croire en ce qui vient, osons vivre aujourd’hui, chaque jour, l’Evangile dans le monde. Oui, depuis cette nuit de Palestine, tout a changé : un enfant nous est né. Joyeux Noël à tous, joyeux Noël à notre monde !

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 20 décembre 2020 – 4e dimanche de l’Avent, Année B (Lc 1, 26-38)

Dans le temps que nous vivons, temps d’incertitudes, de craintes, de deuils et de difficultés économiques, croyants ou non croyants, tous nous avons besoin d’une parole, d’un phare, d’une lumière pour nous rassurer. Une étoile pour nous guider et nous donner confiance en ce qui vient. C’est là, au creux de l’hiver, au cœur de la nuit, que la naissance d’un enfant sera le signe qui nous est donné. Et c’est bien l’annonce qui est faite à Marie au début de l’évangile de Luc.

Ce récit, nous le connaissons. Marie reçoit le messager de Dieu, l’ange porteur de la salutation. Elle s’interroge, elle est rassurée, et finalement elle consent. Elle accepte de servir l’amour de Dieu qui se donne en cet enfant dont le nom nous est révélé : Jésus. Ce nom va donner sens à la vie de Marie et, bien plus, à toute notre histoire.

Nous avons tous un nom. Depuis notre naissance, il est inscrit dans des registres d’état civil, et pour les baptisés dans les registres de la paroisse. Ce nom fait date, il laisse une trace. Parfois il est chargé d’une histoire, en rapport avec la vie d’une personne remarquable ou d’un parent plus ou moins lointain. « Jésus », lui, est le nom au dessus de tous les noms. Il avait été annoncé depuis longtemps, depuis les prophètes, et tous l’attendaient. Son nom nous est enfin révélé par ce dialogue de vérité entre l’ange et Marie. Le nom de cet enfant à naître est extraordinaire : bien plus qu’un slogan politique ou qu’une bonne publicité, son nom dit tout. Il dit le sens de la vie, il donne sens à nos vies. « Yéshua » en hébreu, c’est-à-dire « le Seigneur-sauve ». La signification même de ce nom change tout, définitivement. Ce nom change la portée de la vie de Marie qui, la première, donne sa disponibilité à Dieu pour que s’accomplisse la Bonne Nouvelle sur notre Terre. Ce nom change chacune de nos vies puisque désormais notre histoire vient se mêler à l’histoire de Dieu. Oui, comme Marie, en entendant le nom du Fils du Très-Haut, cet enfant à naître, nous sommes tous invités à préparer nos coeurs pour Celui qui vient y demeurer. Il vient, il est là.

Ne cherchons pas, comme le roi David, à bâtir un palais somptueux au Seigneur. Nathan lui rappelle bien l’essentiel : l’important est de l’accueillir en nos coeurs où il souhaite demeurer. C’est ce à quoi Saint Paul a consenti également. Lors de ses nombreux voyages en Méditerranée, il a découvert de multiples cultures, langues et traditions, il a travaillé parmi des nations étrangères à sa foi. Sans cesse, il a eu cœur de témoigner et de partager, d’offrir et de recevoir. Comme disciple et apôtre de Jésus, Paul s’est attelé à faire de la foi en ce nom un signe pour son temps.

Beaucoup dans notre communauté de Saint Fons et de Feyzin sont engagés dans des actions de solidarité, de citoyenneté ou tout simplement vivent leur foi au travail. Prêtons bien attention aux rencontres que nous faisons ici et là, découvrons comment le nom de Jésus se révèle à nous jusqu’à nous surprendre là où nous ne l’attendions pas. Il n’est pas question de choisir ou non de rencontrer Dieu, il est là parmi nous. En revanche, comme Marie, choisissons-nous de lui faire confiance et de le suivre en engageant notre vie ? Hier comme aujourd’hui, Dieu ne vient pas faire une simple proposition, il vient se révéler, il vient ouvrir un chemin. Tout commence par ces quelques mots de consentement d’une jeune femme, à nous désormais de nous mettre au service de cette Bonne Nouvelle pour notre monde.
P. Guillaume ROUDIER  

Homélie – dimanche 13 décembre 2020 – 3e dimanche de l’Avent, Année B (Jn 1, 6-8.19-28)

Dans sa longue tradition, le peuple hébreu attendait le messie (c’est-à-dire l’envoyé de Dieu, l’Emmanuel), et les prophètes, comme Isaïe, annonçaient sa venue prochaine. Pour ce dernier, alors que le peuple juif est exilé à Babylone, plongé dans le doute et le désespoir, il s’agissait donc d’annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, d’en témoigner en guérissant les coeurs, en promettant la libération des entraves. Bien des siècles après, confrontés à une nouvelle crise, en pleine occupation romaine, Jean Baptiste annonce un même message aux juifs : « il était là pour rendre témoignage à la Lumière ».

Désormais, c’est à nous que cette Bonne Nouvelle est révélée, et que cette mission est confiée. Alors que la chape de la crise sanitaire et économique est toujours là, pesante, nous pouvons faire le choix de nous inscrire dans cette commune espérance des croyants. Aujourd’hui encore, nous sommes appelés une nouvelle fois à redire notre foi en Dieu et en l’humanité qu’il a choisi de rejoindre en cette nuit proche de Noël.

Oui, à la suite des prophètes, et baptisés dans le Christ, nous sommes envoyés pour témoigner de notre espérance en ce monde qui est le nôtre et qui est celui que le Seigneur a fait sien. Pour ce faire, nous sommes revêtus du Christ, de ce manteau qui réchauffe et que nous pouvons partager avec ceux qui sont dans la peine et le froid. C’est le plus beau des vêtements, celui des noces, celui de la grande fête à venir pour notre monde. A ceux qui en ont tant besoin, les pauvres, les malades, les prisonniers, il nous faut donc le partager dans la joie.

En famille, à l’école, dans notre voisinage, au travail, partout où nous vivons et malgré les conditions actuelles – surtout dans le contexte actuel -, nous pouvons, comme Isaïe etJean Baptiste, faire le choix de l’espérance. Il nous faut croire en Dieu et croire en notre humanité, il nous faut le voir, Lui, en elle, chaque jour. Il vient, il est venu, il est là. Comment retenir notre joie ? Laissons-la s’exprimer, se partager avec un cœur qui pardonne à qui nous fait mal, qui demande pardon à qui nous avons fait mal, un cœur qui se laisse transformer, humblement, jour après jour, par l’amour de Dieu.

Saint Paul interpelle les Thessaloniciens dans sa lettre. Et ce matin, c’est encore nous qu’il interpelle : « Frères, soyez toujours dans la joie. » En ce troisième dimanche de l’Avent, « dimanche de la joie », alors que des semaines difficiles sont encore devant nous, il ne nous faut pas renoncer à cette lumière qui brillera bientôt dans la crèche. Poursuivons notre pèlerinage vers Noël, maintenons forte notre joie et notre espérance. « N’éteignons pas l’Esprit » dit Saint Paul, n’étouffons pas la flamme. Sortons de nos peurs et de nos enfermements pour voir la beauté de cette étoile qui scintille pour notre monde. La lumière de Noël nous guide déjà vers un temps « à-venir ». Comme Isaïe, tressaillons de joie, comme Jean Baptiste, rendons-lui témoignage et faisons le choix de croire que « au milieu de nous se tient déjà celui que nous ne connaissons pas » encore totalement. Marchons à sa rencontre.

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 6 décembre 2020 – 2e dimanche de l’Avent, Année B (Mc 1, 1-8)

Cela fait maintenant quelques jours que notre pèlerinage vers Noël a débuté. Il serait bien difficile de ne pas s’apercevoir que Noël approche alors que tout le monde en parle, se souciant de l’organisation des repas familiaux dans le contexte sanitaire actuel. En allumant la télévision, on ne compte plus le nombre de téléfilms autour de « l’esprit Noël » ! Les rues commencent à s’illuminer. Noël approche, c’est sûr. Le calendrier avance vers la Nuit de Noël et les petits et les grands attendent enfin de faire la fête après tant de mois difficiles. Mais une question demeure : est-ce que nous, nous nous approchons de Noël ? Notre cœur s’avance-t-il, lui, vers Noël ? Autrement dit, en ce temps de l’Avent, en ce temps de l’attente, comment préparons-nous nos cœurs à accueillir Celui qui vient habiter parmi nous ? Est-ce que nous ne sommes affairés qu’aux décorations du sapin et aux achats de cadeaux, au souci de ne pas dépasser le nombre recommandé d’invités ? Comment préparons-nous le chemin de cet enfant qui va naître, comment préparons-nous le chemin de Dieu en ce temps de décembre ?

Vous l’avez entendu à l’instant, il nous faut préparer ses chemins, rendre droits ses sentiers ? Il ne s’agit pas de nous transformer en agents de la DDE – même si dans le froid actuellement ils auraient bien besoin de coups de main. Non, il s’agit de rendre droites les routes sinueuses de notre cœur, de combler les fossés, d’abattre les montagnes qui nous séparent les uns des autres, qui nous séparent de Dieu. C’est cela qui nous est demandé : d’être les ouvriers de notre propre cœur pour porter la lumière de cette Bonne Nouvelle qui vient, pour faire entendre la voix des anges qui retentit dans la nuit. Il nous est demandé que notre cœur parle au cœur des hommes et des femmes : un cœur à cœur pour l’amour et la vérité, pour la justice et la paix, nous dit le Psaume.

Alors nous pouvons toujours attendre et compter les jours qui nous séparent de Noël, nous pouvons ouvrir les cases de nos calendriers de l’Avent remplis de chocolat… mais ce n’est sûrement pas un compte à rebours vers Noël. Nous devons convertir notre impatience en pèlerinage intérieur. Car ce n’est pas nous qui devons attendre le jour où Dieu va venir, mais c’est Dieu qui attend, chaque jour, le moment où nous allons venir à lui, le moment où nous allons ouvrir nos mains crispées, ouvrir nos yeux embués, ouvrir nos cœurs engourdis.

Ne disons pas : « Noël ? C’est pour bientôt ! » Mais disons : « Noël ? C’est déjà aujourd’hui ! » Ce n’est pas le Seigneur qui se fait attendre, il est déjà venu, il est déjà là. Ici et maintenant, il est parmi nous, il est en nous. Ne le faisons pas attendre !

Dans quelques jours, c’est le 8 décembre. Au-delà de nos balcons, nous porterons en nous cette lumière qui sera allumée comme signe d’espérance au monde qui en a tant besoin. Tout illuminés par la joie d’accueillir Celui qui vient, nous pouvons nous interroger : quels hommes, quelles femmes devons-nous être pour participer à ce ciel nouveau et à cette terre nouvelle dès à présent ? Avec Jean Baptiste, comment passer du désert au Jourdain, comment faire de l’aridité de ma vie, le fleuve de l’amour de Dieu où nous sommes tous baptisés ?

Peut-être en reconnaissant humblement ce que nous sommes, nos fragilités et nos peines, mais aussi nos forces et nos joies. En les partageant, en partageant celles du monde ; en faisant des peines et des joies du monde, les nôtres. Tout simplement. Car l’important, l’essentiel de la rencontre de Dieu ne se joue pas dans les grands moments de la vie, mais dans les petits instants de chaque jour, dans chacun de nos gestes et de nos regards quotidiens.

Tout simplement en reconnaissant, comme Jean Baptiste, que Celui qui nous est donné porte au monde la vie et qu’il nous donne son Esprit. Alors poursuivons notre pèlerinage, faisons des routes toutes droites entre nos cœurs, c’est le chemin le plus direct vers lui, c’est là que nous le rejoindrons.

P. Guillaume ROUDIER

Homélie – dimanche 29 novembre 2020,1e dimanche de l’Avent (Mc 13, 33-37)

Aujourd’hui, une nouvelle année liturgique commence. Nous sommes le premier dimanche de l’Avent, c’est le temps de l’attente par excellence. Nous découvrons, dans l’évangile, que Marc fait place à l’inattendu, à l’imprévu, à l’étranger, c’est là que la reconnaissance de Jésus va se jouer. Oui, avec sa petite parabole, l’évangéliste nous dit toute l’importance de veiller, de nous tenir prêts.

Evidemment une question s’impose à nous : en pleine crise, alors que les restrictions sont encore la norme, sommes-nous disposés à attendre ? Sommes-nous prêts à engager positivement les jours et les semaines à venir comme la préparation et l’attente de celui qui vient partager notre condition humaine ? Autrement dit, comment répondre à cet appel à nous ouvrir à des horizons nouveaux alors que nous avons encore les deux pieds embourbés dans la crise ?

L’attitude qui ressort dans l’évangile, ici et souvent d’ailleurs, c’est celle du veilleur. Veiller, demeurer dans une juste inquiétude chrétienne pour notre monde, c’est-à-dire être vigilants et mobilisés pour les petits, soutenant ceux qui luttent chaque jour dans les hôpitaux, les associations, plus que pour nos propres désirs de liberté. Nous cohabitons parfois difficilement avec ceux-ci, ils nous rappellent trop nos limites, notre finitude. Pourtant l’enjeu est bien là, quand nous prenons conscience de l’appel à la fraternité que nous recevons, un appel à demeurer attentifs à celui qui se donne à rencontrer là où ne nous l’attendions pas toujours. La venue étonnante de cet enfant de la crèche augure ce chemin de fraternité et de paix. Nous le croyons.

C’est pourquoi, sous les traits du maître de maison, Jésus nous demande de veiller, de demeurer dans l’espérance de ce qui vient. Lui, le maître, Jésus, va venir à notre rencontre. Veillons, attendons-le. Cherchons-le là où nous pensions impossible de le trouver : nous ne savons ni le jour ni l’heure. Chasser le sommeil, c’est nous défendre activement contre nos mauvaises pensées et nos désespérances. C’est un appel à résister, un appel à rechercher ce que nous ne connaissons pas encore de lui, et peut-être de nous-mêmes.

Veillons, sortons de nos torpeurs et de nos engourdissements. Laissons nos fausses quiétudes, nos fausses assurances relatives à ce que nous croyons connaître de la vie et du monde. Soyons « une Eglise en sortie » comme le pape François nous y invite. Ne nous lassons pas de chercher ici et là les signes qui nous sont donnés de la venue du maître. Soyons attentifs, inventifs. Et pour ne pas s’épuiser ni s’essouffler alors que les semaines à venir vont être encore difficiles, prenons le temps de nous ressourcer dans les Ecritures, laissons-nous habiter par l’Esprit et saisir par l’amour de Dieu. Sachons veiller comme un veilleur attend l’aurore : il sait qu’après le froid de la nuit, la lumière de l’aube nouvelle va venir le réchauffer.

Vous le savez peut-être, le mot « Avent » est emprunté au latin adventus, du verbe advenire (« arriver »). Autrement dit, le temps qui débute aujourd’hui est « le temps de celui qui arrive ». Nous voilà de nouveau face à cette question : comment nous y préparons-nous ? Si nous y regardons de plus près, dans la parabole, l’homme qui a quitté sa maison a confié à ceux qui demeurent là « tout pouvoir ». C’est-à-dire la possibilité d’agir comme lui agirait, et à chacun selon sa charge, selon son travail, selon ses talents dirions-nous également. Et il y a la figure du portier, l’homme du seuil, celui à qui le maître de maison confie la charge de faire le lien entre le dedans et le dehors. A la suite des premiers disciples, dans « ce temps de celui qui arrive », nous pourrions nous situer et du côté des serviteurs attentifs aux plus petits et affairés dans des préparatifs de la fête, et du côté du portier qui lie le monde et sa prière intérieure. Un détail encore à noter : la porte semble demeurer ouverte pendant la veille. La maison du maître n’est pas close, fermée sur elle-même. La porte est le passage étroit par lequel le maître part et revient, par lequel il nous lance son appel : « je le dis à tous : veillez ! »

A la lecture de l’évangile, il apparaît donc que nous sommes tous confrontés à la perspective de cette venue, à l’improviste, dans la nuit. Il peut y avoir, dans chacune de nos existences, et à plusieurs reprises, la venue du maître de maison. Sa rencontre met un terme à nos attentes interminables, à nos préjugés sur le temps présent ou à nos angoisses sur ce qui vient. En ce sens, notre vie de veilleur ne se clôt pas sur elle-même. Elle est toute ouverte et orientée vers la venue de celui qui, lorsqu’il vient et lorsqu’il viendra, arrive chez lui, dans sa maison.

Evidemment, le temps de Noël qui s’annonce ne sera pas une fête ordinaire cette année. Nous sommes appelés à retrouver le sens réel et profond de ce rendez-vous. « Le temps de celui qui vient », l’Avent qui commence, nous offre la possibilité de nous y préparer. Bien loin de la pluie de cadeaux, nous pourrons tout simplement nous réjouir de nous retrouver avec nos proches, et avec celui qui est désormais parmi nous. Jamais des retrouvailles n’auront si bien porté leur nom. En « Avent » !

P. Guillaume ROUDIER